vendredi 26 octobre 2012

La Corse et les spécialistes


Des mois de silence causés par une certaine lassitude née de l'après grève de la faim. Nous avions échoué à faire libérer Guy Orsoni et, très franchement nous nous trouvions dans une impasse. Ce n'est pas tant la grève de la faim en elle-même que ce sentiment d'impuissance face à ce que j'estime être un véritable déni de justice. 

Depuis des morts ont succédé à d'autres morts : ceux que je connaissais et tous ceux que je ne connaissais pas car contrairement à une idée reçue les Corses ne se connaissent pas tous. 


Et que dire de ces volées de journalistes-étourneaux, de retour ici à chaque coulée de sang, qui se foutent comme de la Corse mais qui vivent ici un exotisme de basse intensité et cherchent pour vendre leur soupe les mots-clefs qui vont accrocher le public continental : mafia, région la plus criminelle etc.

Alors de quoi suis-je fatigué ? Des Corses et de la Corse ? Oui, franchement il m'arrive d'avoir envie de partir très loin, vers l'anonymat comme il m'arrive d'être fatigué de moi-même, de mes inquiétudes, de mes espérances déçues (mais m'éloigner de moi-même est plus difficile). 

Des journalistes continentaux ? Je n'attends rien d'eux. J'en ai connu. Ils vivent par élipses au rythme de leur sujet. Ils errent comme des fantômes à la recherche d'une renommée qui les placeraient au-dessus de leurs collègues. Je généralise ? Certainement comme eux le font avec nous. Mais ilss finissent-ils par m'énerver à force d'ignorance et d'inculture (ah le caricatural débat entre les journalistes Vernes et Constanty sur le plateau de C à dire! pour savoir qui avaient reçu le plus de confidences des autorités sur la voyoucratie corse) et souvent d'auto-satisfaction (moi je connais la Corse et moi seul). 

Quelques-uns malgré tout se situent (en matière d'analyse et pas d'humanité) au-dessus de leurs confrères. Mais ils sont obligés eux aussi de se soumettre à la tyrannie des mots-clefs. Je pense particulièrement à Jacques Follorou qui porte sur la Corse un regard déformé par son obsession sécuritaire et, comment dire, sa corsophobie. Mais il analyse avec beaucoup de finesse le phénomène criminel insulaire même s'il use et abuse du terme de mafia. Il avait bien saisi la différence entre la démarche de Jean-Jé Colonna, corse du sud et féodal et celle des Bastiais, plus "moderne", moins affective plus tournée vers le profit à tout prix. Toujours ce syndrome de Vizzavona et les éternelles différences entre la Haute Corse (u Cismontu) et la Corse-du-sud (u Pumontu).

Autre analyse intelligente : celle du juge Thiel. Lui aussi pèche par un excès sécuritaire. Il est atteint de ce paradoxe très français à vouloir concilier le pays réel cher à Mauras, la France monarchique et le pays imaginaire, celui de Michelet, le troubadour de la République royaliste française. 

Car la vertu de la République qu'il invoque pour justifier sa démarche  n'existe que dans les discours officiels et certainement pas dans les dossiers qu'il a à traiter. Elle est idéalisée et fantasmatique. Il s'est un jour trouvé compagnon de route  de Chevènement, cet moraliste de gauche qui vit en HLM bien que recevant des émoluments qui le placent parmi les 3 % supérieurs en matière salariale, foutu modèle républicain ce mister Bean de la politique. 
Mais souvent, les coups de gueule du juge hirsute et ursidé sont souvent justes et salutaires. Il est la bête noire des nationalistes qui ont souvent du mal à accepter la logique démocratique qui veut que l'auteur d'un attentat soit condamné par la loi. Et ce qu'elles que soient les justifications des plastiqueurs. Quant au juge, il ne fait que son travail. Il paraît que Thiel est anti-corse. C'est possible mais je n'en suis pas sûr. 

Pour en revenir aux continentaux intelligents qui observent la Corse (il y en a), ils peinent à proposer des solutions au problème que nous posons à la France. Follorou et Thiel ont une réponse basique : plus de moyens pour mieux réprimer et faire respecter le modèle républicain. Oui mais quel modèle ? Celui des vedettes de Taiwan, de Karachi, des fonds secrets, des ripoux de la BAC nord ? Je ne réduis évidemment pas la France à ses déviances comme la Corse ne saurait être réduite à sa criminalité. Mais je crois néanmoins que ces glissements (autrement plus importants que ce qui est reproché à la Corse) sont des productions suis generis. Les considérer comme des maux ayant des causes extérieures revient à adopter une attitude fausse mais aussi inopérante. 

C'est l'attitude de ces obsédés de la sécurité qui affirment que le mal est le contraire du bien. Ils sont complémentaires. Le mal est, dans l'histoire d'une société humaine, une appréciation moraliste posée à un instant T sur un phénomène qui le lendemain peut être jugée de manière exactement contraire. Tuer est un crime en temps de paix (sauf pour les services secrets), c'est un "devoir" en temps de guerre. 

Les pairs du juge Thiel estimaient que torturer ou assassiner des Algériens jusqu'aux accords d'Evian était excusable. Un peu avant, les magistrats ont massivement participé à la répression contre les Résistants ou les Juifs. Les mêmes ont ensuite jugé et condamné les collabos qu'hier ils servaient. 

Tout est affaire de conscience personnelle (comme la foi) et ça s'arrête là. Le reste n'est qu'un pauvre décorum indispensable planté par les petits humains pour permettre à l'illusion démocrate de guider nos sociétés aisées. Et il est exact que l'illusion démocrate vaut mieux que l'illusion tyrannique. Mais soyons conscients qu'aux États-Unis par exemple, la plus grande démocratie du monde auto-proclamée, seulement 45 % des citoyens votent. Le reste s'en fout ou alors il est tellement martyrisée par la crise sociale que l'expression démocratique est bien le cadet de leur souci.

C'est aux peuples de tailler leur chemin en acceptant que leurs défaites soient leurs propres défaites et leurs victoires leurs propres victoires. Mais alors il faut accepter que le peuple corse est différent de cet ensemble composite qu'on appelle le peuple français. 

Ce qui m'insupporte dans le discours républicain c'est le ton moraliste de personnes qui mettent toujours en exergue la Corse pour la stigmatiser alors que le pire est commis sous leurs yeux et dans leur pays. 

De l'autre côté, ce qui m'agace chez les militants nationalistes (et chez les militants en général) est leur façon de toujours désigner des boucs émissaires toujours situés à l'extérieur. Les actes de nos enfants sont aussi le produit de la manière dont nous les avons élevés. Je pense au culte des armes, à l'approbation silencieuse de la violence, à l'idée que l'état est là pour nous nourrir sans contrepartie etc. 

Bon j'en ai fini pour aujourd'hui. Je n'ai pas de solutions immédiaes aux difficultés que nous rencontrons. Mais je préfère agir sur ce qui se trouve à ma portée plutôt que de dénoncer en pure perte les actes de ceux qui ne changeront pas. Amen !

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