mardi 27 mars 2012

Une interview du juge Choquet dans Corse-Matin

Fait rarissime un juge d'instruction donne une interview alors que des grèves de la faim ont trait à des affaires en cours. Je  remarque qu'à l'ordinaire (si tant est qu'il y ait en la matière un ordinaire) c'est le procureur qui donne le ton de la JIRS. Deuxième reflexion : cette interview est publiée le jour où les avocats de Guy Orsoni donnent une conférence de presse dans les locaux de la Ligue des droits de l'Homme à Paris. Enfin le ton du juge Choquet est très modéré puisqu'il rend un étrange hommage aux grévistes de la faim et à la Ligue des Droits de l'Homme. C'est en tous les cas les signes d'un changement d'attitude si on se réfère aux propos récemment tenus en direction des avocats de Guy Orsoni : "Je serai inflexible." 


Loin de nous l'idée de crier victoire. Nous souhaitons à travers notre mouvement attirer l'attention de l'opinion publique sur les juridictions d'exception et, ce faisant, favoriser une justice sereine et équitable pour tous mais une justice qui ne fasse aucune concession au crime tout en usant de moyens démocratiques. Notre espoir est d'arriver à une solution qui permette la libération de Guy Orsoni sans toutefois affaiblir la justice avec un grand J. Je m'efforce de répondre aux propos du juge Choquet. Mes réponses apparaissent en bleu.




Choquet : « Une grève de la faim change-t-elle le fond du dossier ? »

    
Publié le mardi 27 mars 2012 à 09h59
Le juge Choquet
Certains disent qu'il faut laisser faire, laisser les voyous s'entretuer. C'est simpliste et c'est inquiétant...

Le magistrat instructeur à la Juridiction interrégionale spécialisée de Marseille, a en charge plusieurs dossiers corses très sensibles. Il a accordé une interview exclusive à Corse-Matin
Quels sont les véritables enjeux des règlements de comptes dans l'île ? À travers les dossiers que vous traitez, quelle est votre analyse du contexte criminel corse ?
On tue en Corse pour des conflits d'intérêts et pour faire sa place. Des intérêts financiers, dans l'île mais aussi sur le Continent. On est dans un changement d'époque. Il y a un trou d'air.
De nouvelles équipes se constituent, de nouvelles alliances se forment. Les générations intermédiaires essaient de prendre les commandes et de plus en plus de jeunes s'impliquent. Ce qui est extrêmement inquiétant, c'est la facilité avec laquelle on tue.

On tue en Corse depuis des siècles. Cette propension à trucider son prochain était déjà dénoncé par Sénèque, les Pisans, les Génois et évidemment les Français. Mais celui qui s'y opposa le plus fermement sans jouer sur les haines familiales fut Pasquale Paoli. La situation actuelle n'est donc pas exceptionnelle. Elle traduit seulement un renouvellement du milieu insulaire. Les résultats de la JIRS sont strictement identiques à ceux obtenus dans le passé par la justice dite banale. 8% d'élucidation judiciaires des crimes commis par le grand banditisme, un chiffre identique sur tout le territoire.
Dans quelles directions agissez-vous ?
On fait un gros travail sur les armes, on trouve des caches. C'est important de mettre la main sur l'outillage de base, de trouver des indices : ADN, traces papillaires… On s'intéresse aussi aux stupéfiants. Ce trafic prend de l'essor. La Corse était préservée jusqu'ici mais de ce point de vue, elle se continentalise. Il y a de plus en plus de produits qui rentrent. Les enjeux sont importants mais la lutte s'intensifie.

Le juge Choquet ne démontre toujours pas l'intérêt de moyens exceptionnels. Il est heureux que la justice s'intéresse aux stupéfiants et utilise les moyens à sa disposition pour lutter contre la grande délinquance.
En Corse, certains reprochent à la Jirs l'usage de moyens d'exception. Comment réagissez-vous à ces critiques ?
La Jirs est une juridiction spécialisée et non pas d'exception. Elle n'est pas spéciale. Il faut sans doute rappeler qu'elle travaille sur des infractions qui recouvrent en gros toutes les manifestations possibles du banditisme.
Les infractions visées sont, dans notre région, sans commune mesure avec ce qui peut se passer en Lorraine ou en Bretagne. Cela autorise des moyens d'enquêtes particuliers.
Les magistrats et les parquetiers de la Jirs ont d'ailleurs une habilitation qui prend en compte l'expérience, y compris à l'international, la formation, et une bonne connaissance des textes.

Ne craignant pas la contradiction le juge Choquet joue sur les mots. Il explique que la JIRS est spécialisée et non spéciale. Mais il explique que les infractions relevées dans le sud est de la France sont sans commune mesure avec celles relevées dans le reste de la France sous-entendant qu'à situation exceptionnelle il faut des juridictions exceptionnelles. Par ailleurs, les JIRS existent sur tout le territoire. Je pense qu'elles ont été constituées dans un contexte mondial particulier: :l'après 11 septembre 2001 et calquées sur le modèle américain. Or le modèle américain est sur le plan répressif tout à fait anti-démocratique : autorisation de la torture, incarcérations abusives, pénalisation des mineurs à partir de dix ans dans certains états etc.

Cela justifie-t-il des méthodes fortes, traumatisantes, dans un microcosme comme la Corse : interpellations « musclées, voire spectaculaires », que certains assimilent à des « rafles », gardes à vue « abusives », perquisitions « violentes ». Ces critiques vous semblent-elles excessives ?
Dans le tout-venant, le juge travaille sur une infraction commise. Il remonte dans le temps, essaie de comprendre ce qui s'est passé.
En matière de banditisme, on enquête sur un phénomène en train de se faire, c'est très différent. Il y a tout un travail de surveillance, de préparation.
En général, on a affaire à des groupes. La notion de bande organisée est très forte dans le corpus juridique Jirs. On va devoir interpeller large pour ne rien rater.
C'est le problème : les infractions sont éparses sur le territoire et il faut pouvoir interroger un maximum de personnes en même temps, confronter les déclarations. Lors des interpellations, nous donnons des consignes pour que les opérations se déroulent dans la discrétion mais… il y a un problème de sécurisation. Les policiers ont affaire à des gens dangereux, souvent armés, ils doivent aussi se protéger.

Les cas abondent en Corse où sur ordre de la JIRS les policiers cagoulés sont intervenus en brisant les portes et dévastant les intérieurs chez de simples particuliers. Jusqu'à nouvel ordre, jamais au grand jamais un coup de feu n'a été tiré lors d'une perquisition. Ces opérations ont un but intimidant sans contestation possible.La population corse, comme celles des cités, est perçue par la justice et par la police c'est-à-dire l'état comme dangereuse dans sa globalité. Il se passe exactement ce qui s'est passé ici après l'assassinat du préfet Erignac : la criminalisation globalisante. Le juge Choquet devrait avouer qu'il perçoit les Corses comme un magmas dangereux.
Pourrait-on néanmoins assouplir ces méthodes tout en restant efficace ?
En causant le moins possible de dégâts collatéraux ? C'est une consigne. Il est difficile de trouver le bon équilibre mais il faut essayer. Si la question se pose, je suis prêt à en parler. Mais nous voudrions également être des protecteurs, nous ne sommes pas que des chasseurs de voyous. Dernièrement, des armes ont été jetées par une fenêtre… On s'investit car on estime qu'il y a un vrai danger pour la population. Il faut arrêter ce flot de sang. Des gamins meurent. À quoi cela sert-il ?

Le juge Choquet a raison de s'indigner. Le problème est que la criminalité n'a pas bougé d'un pouce depuis la création des JIRS. Enfin je pense que c'est l'éducation, la réduction de la misère et la prise de conscience citoyenne qui sont les meilleures armes contre la croissance criminelle.
La Jirs est censée combattre l'économie souterraine, ne peut-on agir en amont ?
Le démantèlement des groupes criminels et la saisie des patrimoines sont des objectifs parfaitement conscients et assumés. C'est ce qu'on essaie de mettre en œuvre. L'aspect financier est primordial, c'est peut-être même le principal mais il faut rattacher ces possessions illicites à des infractions et c'est beaucoup plus long.
Les voyous savent à qui confier leur argent, leur patrimoine est de mieux en mieux géré. Il y a des hommes de paille, des placements à l'étranger. De ce côté-là, ils ont des années d'avance sur nous.

Le juge Choquet se moque du monde. Cela fait trente ans que la justice répète le même leti motiv. Le procureur Legras avait accru le pôle économique de Bastia dans ce but. C'était en 2000. Le rapport Glavany qui datait de l'année précédente affirmait déjà les mêmes principes. Le pôle de Bastia croule sous les toiles d'araignée. Le juge Choquet enfonce des portes ouvertes. Bien entendu qu'il faut s'en prendre au patrimoine des voyous puisque leurs activités sont vouées à la constitution de ce patrimoine. Que ne l'a-t-il fait plutôt ? Je remarque seulement que dans les Parrains Corses les deux auteurs révélaient que la Brise-de-Mer possédait des complicités au plus haut niveau de la Justice. Ils n'ont pas été attaqués en diffamation mais il n'y a pas eu d'enquête. Bref il faudrait que la justice fasse un travail de longue haleine et non un travail d'apparence basée sur des résultats éphémères. Et pour cela il ne faut pas faire d'esbrouffe comme le fait la JIRS et particulièrement ces magistrats qui ne rêvent que de promotion notamment dans l'anti-terrorisme. 
Autrement dit, les voyous progressent vers la légalité ?
Ils sont très malins, on n'a pas affaire à des naïfs, ce sont des gens qui savent gérer un patrimoine et inspirer la peur.
L'action de la justice n'est pas toujours lisible, tandis que la prospérité des voyous est de plus en plus voyante.
On ne peut pas nier qu'il y a un certain nombre de dossiers relatifs au grand banditisme qui sortent.
Ce que je peux vous dire est que des résultats sont à venir, notamment des saisies de patrimoine qui vont bientôt avoir lieu.

Les voyous sont malins? Trente ans de carrière pour découvrir cela? Encore bravo. Par contre la justice elle donne l'impression d'être un peu à la ramasse à embastiller des gamins qui dans le meilleur des cas sont des cinquièmes couteaux alors que les grands passent entre les mailles du filet pour d'ailleurs terminer le plus souvent sous les balles de leurs "amis".
Dans quels délais ?
Des délais assez proches.
Pour en revenir aux méthodes de la Jirs, la Ligue des droits de l'homme parle ni plus ni moins « d'acharnement ».
J'aime bien la Ligue des droits de l'homme et j'aimerais bien en parler avec ses représentants. Il ne faut pas oublier que les avocats sont dans les dossiers et peuvent intervenir à tout moment.

Pour l'heure la LDH est à nos côtés. Elle a souvent sollicité un débat avec le juge Choquet qui ne l'a pas accepté arguant du fait qu'on ne parlait pas des affaires en cours. Il a changé. Allelujah! C'est un miracle de Pâques.
Pour dénoncer les méthodes de la Jirs de Marseille des grèves de la faim ont lieu actuellement en Corse, notamment dans l'affaire Orsoni après le dossier Plasenzotti. Quel est votre sentiment ?
Mon objectif est de terminer les dossiers dans les conditions d'un vrai débat judiciaire. L'instruction, c'est à la fois l'indépendance de l'enquête et le contradictoire. Je souhaite le renforcement du contradictoire à l'instruction. J'étais président de l'association française de magistrats instructeurs au moment de l'affaire d'Outreau, j'avais été entendu à l'époque par les commissions et c'est ce que j'avais défendu.

Voilà un magistrat qui utilise de faux témoins, des témoins sous X en veux-tu en voilà, qui cache des pièces à la défense, qui abuse de la détention provisoire mais il est pour le débat contradictoire. Bien curieuse conception de la contradiction…
Êtes-vous néanmoins sensible à ces grèves de la faim qui mettent en danger plusieurs personnes ?
Oui, j'y suis sensible et même inquiet car ces grèves de la faim concernent des jeunes gens et certains de leurs proches. Cela me navre. Mais je pose la question : est ce que cela change quelque chose aux éléments des dossiers ? L'important est d'être objectif, d'examiner tous les éléments à charge et à décharge, de permettre une vraie expression de la défense.
C'est le même magistrat qui déclarait il y a peu aux avocats de Guy Orsoni que les grèves de la faim lui importaient peu et qu'il resterait inflexible. Le juge Choquet touché par la grâce et l'humanité… C'est vraiment Pâques. 
On reproche aux juges d'instruction une connivence avec le parquet. Qu'en est-il ?
On l'entend parfois dans la bouche des avocats mais tous les avocats corses ne sont pas contre la Jirs. On dit que les juges de la Jirs ne sont pas indépendants, on nous compare aussi à la 14e section antiterroriste de Paris. C'est facile… tous les moyens sont bons, je peux le comprendre. Mais si on discute comme citoyen, il faut être plus sérieux, on porte ensemble une certaine vision de la société, de la justice, on peut la partager…

Le juge Choquet devrait normalement rejoindre la 14e section à l'automne. Il va passer d'un monde d'exception à un monde d'exception. Qu'il ne commence pas à cracher dans la soupe. Quant aux avocats corses qui ne sont pas contre la JIRS j'en ai compté deux à commencer par Me Mariaggi qui a la particularité d'exaler une haine sans limite pour tous ses concitoyens. À chacun sa morale et ses alliés…
Les échanges ont lieu malgré tout ?
C'est vrai, on discute avec le parquet : c'est le parquet qui choisit les dossiers, le juge d'instruction ne se saisit pas tout seul. Mais le contact humain se fait à notre niveau, on a donc des éléments à donner au parquet sur les choix à opérer, sur la politique pénale. Ce débat est important notamment sur la fin d'un dossier. Mais cela ne signifie pas qu'on prend nos ordres au parquet.

Le juge Choquet prend ses ordres du parquet et jusqu'alors c'était le procureur Dallest qui s'exprimait. Le juge Choquet est désormais seul. Qu'il prenne garde de ne pas être cloué au pilori comme le juge d'Outreau qui,  il est vrai, a depuis reçu une promotion. Il est passé à l'anti-terrorisme là où l'élite de la magistrature se retrouve.
On vous reproche aussi un fonctionnement collectif, qu'en est-il ?
Dans tous les dossiers de la Jirs, on est co-saisis. Nous sommes deux juges d'instruction au moins à travailler sur un dossier. On se concerte. Cela permet de ne pas s'enfermer, la personnalisation n'est pas une bonne chose.

Le juge Choquet devrait révéler le nom de son binôme car jusqu'alors seul le sien apparaît dans les trois dossiers concernant Guy Orsoni. Après les témoins sous X voilà les juges sous X. Tout cela pue la pornographie et le scénario X.

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