dimanche 3 février 2013


La guerre des parrains corses : entre le dégoût et l'effroi





L'ouvrage écrit par Jacques Follorou "la guerre des parrains corses" a créé l'événement à juste titre. Il dévoile (au détriment souvent du secret de l'instruction) les dessous d'un système qui nord au sud de la Corse met la société insulaire en coupe réglée et dans lequel se retrouvent pêle-mêle nationalistes anciens et actuels, affairistes et voyous. Un livre à lire absolument qui provoque chez le lecteur corse à la fois dégoût et effroi. Cet article est une reprise retravaillée de celui que j'ai publié dans le Journal de la Corse.


Des méthodes journalistiques contestables

Avant d'aborder le fond du livre, il est nécessaire de détailler la manière dont Jacques Follorou a travaillé pour écrire cet ouvrage courageux et dérangeant, dérangeant pour le meilleur et pour le pire.

Outre une connaissance (journalistique) de la société corse accumulée depuis quinze ans, il est venu sur le terrain pour interroger des témoins et recouper certaines de ses informations. Mais une grande partie de celles-ci a été obtenue à partir de pièces d'instruction couvertes par le secret de l'instruction. C'est évidemment très choquant de constater qu'un homme qui cherche lui-même à protéger ses propres sources n'a cure de la principale protection de la présomption d'innocence.

Car, qu'il le veuille ou non, il fausse par avance les procès à venir. Car il ne fait aucun doute que cet ouvrage sera un best-seller et que l'impact de l'ouvrage jouera sur les jurés. Par prudence (avec pour le lecteur un fort sentiment d'hypocrisie), il a multiplié les avertissements quant à la présomption d'innocence des personnes incriminées et citées.

Mais, malgré tous ses efforts, il oublie souvent le point de vue de la défense tout simplement parce que les magistrats instructeurs ont refusé à la défense l'introduction de pièces pourtant essentielles. J'y reviendrai.

Jacques Follorou assume cette transgression privilégiant ainsi, selon lui, l'information. Parfois ses propos glissent donc du reportage au rapportage. Mas, de fait, sans ces documents l'ouvrage perdrait de sa force démonstrative. Et il faut reconnaître que sa lecture provoque un choc puis un sentiment qui fluctue entre le dégoût et l'effroi. Dégoût quant au spectacle de notre société mise en coupe réglée par quelques dizaines d'individus qui effectuent une razzia indécente sur le bien public, effroi face à l'impunité dont ils semblent bénéficier malgré les dénégations des représentants de l'état.

Un système mafieux

J'étais de ceux qui refusaient de parler de "mafia corse" mettant l'accent sur le désordre de la grande délinquance insulaire contraire à la centralisation criminelle sicilienne. Jacques Follorou accumule les preuves de systèmes déviants organisés dont les bénéficiaires n'hésitent pas à s'attribuer des parts de territoire par la menace ou la violence. En bout de lecture, il ne fait plus aucun doute que s'il n'existe pas de mafia au sens traditionnel en Corse, l'économie de l'île est sous influence mafieuse et que ce phénomène va en s'aggravant à cause de l'impéritie étatique, du fatalisme local et des sommes considérables à ponctionner.

Plus grave, les délinquants se retrouvent et discutent de l'étendue de leurs "territoires". On lira à ce propos les passages édifiants relatifs à la sonorisation par la police de l'appartement d'un des protagonistes de la guerre des gangs ajacciens et des propos tenus par ses occupants, propos relatés dans un pv de 37 pages. C'est un mélange de cynisme, d’inhumanité, de malhonnêteté le tout recouvert d'un verbiage nationaliste donnant au bout du compte un ensemble écœurant et révélateur à bien des égards. Les mêmes individus révèlent une scène proprement surréaliste au cours de laquelle un membre d'une bande ennemie a été retourné et révèle des projets d'assassinats visant notamment Jean-Christophe Angelini. Ce dernier et d'autres dirigeants nationalistes viennent interroger cet individu dans un hangar sous la haute autorité d'Antoine Nivaggioni afin d'éviter une nouvelle guerre entre factions nationalistes. C'est proprement ahurissant. Le sentiment est qu'une partie se joue sous les yeux des représentants de l'ordre sans que jamais la société corse, la première concernée, n'ait son mot à dire.

Une grande responsabilité étatique et une responsabilité corse

L'une des faiblesses (la faiblesse) du livre est à mes yeux le refus par l'auteur de dénoncer la responsabilité directe des services secrets dans les règlements de comptes, d'expliquer comment un pouvoir centralisé joue sur les contradictions de la criminalité pour la gérer à son bénéfice. C'est en Corse une vieille histoire qui se répète depuis l'occupation pisane puis génoise. C'est aussi la façon dont l'état français a utilisé le milieu en créant le Section d'Action Civique lors de la guerre d'Algérie. Follorou se contente d'expliquer que les représentants de l'ordre public ont "sous-estimé le danger mafieux". C'est un euphémisme qui devient une erreur. Le système étatique a utilisé le grand banditisme contre les déviants de la clandestinité. La guerre des parrains corses fait l'impasse totale sur le rôle des RG dans la manipulation des voyous et de certains anciens nationalistes. Ce n'est pas une simple erreur. C'est le fruit d'une contradiction : Follorou en appelle à un état qui est partie prenante dans la dérive qu'il dénonce. C'est au passage une véritable méconnaissance du système mafieux qui n'existe justement que grâce au rapport dialectique qu'il organise avec certains pans de l'état.

Contacté, l'auteur assume ce choix et affirme que le personnage de Bernard Squarcini, pourtant central dans les affaires corses "n'est qu'un épouvantail" qui masquerait la gravité du problème. Il insiste pourtant dans son ouvrage sur la guerre des polices. Plus précisément, il est difficile d'ignorer le rôle négatif des RG notamment par le biais de fuites organisées en direction des personnes visées par les enquêtes.

La partie belle donnée à l'accusation

La plupart des affaires de grand banditisme sont, en Corse, gérées par la JIRS. Pas toutes car la justice corse obtient deux fois plus de résultats que la JIRS située à Marseille. La JIRS, ce mélange incestueux de procureurs, d'enquêteurs et de magistrats instructeurs, a pris l'habitude de refuser de nombreuses pièces proposées par la défense. Or, Follorou, par choix ou par ignorance, ne donne donc souvent que la perspective de l'accusation. Ainsi dans la gestion du dossier Guy Orsoni, les témoignages cités ne le sont que partiellement. Follorou ne dit pas un mot de l'invraisemblable faux témoignage relatif au double assassinat de Baleone. Sa faiblesse est qu'il a au vrai sens du terme, une vision policière de la Corse, une société éminemment complexe dans son rapport à la proximité et à l'état. En achevant son ouvrage sur des propositions répressives, Follorou se comporte plus en militant acharné d'un centralisme jacobin et répressif plus qu'en un journaliste objectif.

A Corsica si farà da par idda

La violence corse est une dialectique qui fonctionne à l'interne (et il serait irresponsable de nier notre propre responsabilité dans la violence qui nous ronge). Mais cette dialectique est renforcée par l'attitude perverse de l'état qui fonctionne ici comme dans une colonie africaine en jouant sur les rivalités tribales et l'orgueil démesuré des uns et des autres. Ultime force de cet ouvrage à ne pas rater : la mise en exergue d'un détonant mélange affairiste nationaliste qui trace en pointillé les frontières d'un nouveau massacre de dissidents même si Follorou n'aborde pas la question de front . Un système mafieux partage avec l'état un besoin de discrétion. Le système exècre les trublions et participe à leur extermination quand le besoin s'en fait sentir. "La guerre des parrains corses" s'achève sur un constat un rien désuet : l'auteur se réjouit de ce que le ministre de l'intérieur a enfin prononcé le terme de mafia et appelle à des mesures répressives à l'italienne : statut de repenti, protection des témoins. Il doute cependant que l'état ait pris la mesure du danger corse. Que dire sinon répéter que les mafias sont autrement plus dangereuses à Paris qu'en Corse et qu'il ne sert à rien de miser tous ses espoirs sur un état dont on vient de dénoncer les insignes faiblesses.

Une fois encore : le mal corse guérira grâce aux Corses et non par l'édition de lois antidémocratiques. On peut partager le constat tragique de l'auteur tout en refusant ses solutions. Il reste à espérer que la Corse trouvera en elle-même la force de se débarrasser de ce cancer qui la ronge et qui finira par la tuer. Mais contre lui il n'y a qu'un sursaut citoyen qui puisse fonctionner ce qui implique de transgresser les attractions de la proximité, de la parentèle bref de quelques millénaires d'une culture de survivance. Je dois avouer que je ne sais pas personnellement comme dépasser cette contradiction qui fait partie de ma propre manière de penser et qui fait de nous, les Corses, les premières victimes de ce système haïssable que nous entretenons peu ou prou.

GXC

La guerre des Parrains corses, Jacques Follorou, Éd. Flammarion, 21€

1 commentaire:

  1. Oui bien entendu il n'y a que nous pour nous en sortir !
    Mais des questions se posent....
    Notre société est donc malade ?
    Dans « Le mal français », Alain PEYREFITTE avait défini la société corse comme un archétype de la société de défiance lors de son séjour à Corbara en 1947...
    Est ce une des racines de notre mal ?
    N'y a t-il pas un mal plus profond ?
    je pense à notre mentalité, son passé, son état présent, son évolution et son intégration dans le monde à venir...





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