jeudi 15 novembre 2012

Corse, les racines du mal



PARIS (Sipa)

La mort du président de la Chambre de commerce et d'industrie de Corse-du-Sud, Jacques Nacer, dans sa boutique de vêtements à Ajaccio porte désormais à 17 le nombre d'homicides commis cette année en Corse. "Ces dernières années, ces règlements de comptes ont représenté environ 20% des règlements de comptes commis sur le territoire français métropolitain", a noté le ministre de l'Intérieur Manuel Valls, une proportion "tout à fait exceptionnelle au regard de la population". Plusieurs experts interrogés par Sipa, ont décrypté les racines de cette violence.

Des gangs qui s'entre-déchirent

Gabriel-Xavier Culioli, journaliste et écrivain corse, compare l'Ile de Beauté à "une grande cité" où des bandes règlent leurs comptes pour des histoires d'argent et d'honneur. "On a affaire à une forme de délinquance comme la vendetta autrefois", a-t-il expliqué a Sipa, où la vengeance et la haine régissent l'action de jeunes désoeuvrés. "La Corse a l'un des plus fort taux de pauvreté, les taux d'échec scolaire et de chômage chez les jeunes sont également très élevés". Cette violence a toujours existé, a-t-il ajouté. "Ça fait partie de l'histoire de l'île. Il y a une tradition très forte de ressentiments".
Pour Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire national des Art et métiers, on assiste aujourd'hui à une "guerre de succession" suite à la disparition de bandes qui faisaient régner la pluie et le beau temps dans les années 1980, comme la bande du "Petit Bar" à Ajaccio, ou celle de la "Brise de mer", implantée dans le nord de l'île.

Frontière poreuse entre grand banditisme et nationalisme

Là-dessus, s'ajoute un conflit armé entre nationalistes qui dure depuis plusieurs décennies. "La Corse a une histoire qui n'a pas commencé hier. Il est impossible de savoir pour l'heure si cet assassinat relève du grand banditisme. Plusieurs situations sont imbriquées", a affirmé Alain Bauer. "Il y a une situation de conflit armé entre nationalistes qui pèse sur le débat. Des vengeances et des règlements de comptes sont arrivés là-dessus".
Aujourd'hui, la police doit faire face à la violence des voyous et des nationalistes quand elle s'en mêle. "Il y a des passerelles. Les gens du milieu ont besoin d'appuis auprès des gens de pouvoir. On ne comprend pas bien qui fait quoi", confie à Sipa le journaliste Sampiero Sanguinetti, auteur de "La violence en Corse".

Une réponse inappropriée des pouvoir publics

Face à cette situation, les pouvoirs publics et la Justice sont désemparés. "C'est affligeant. Les gouvernements successifs n'y comprennent rien! C'est un peu comme au XIXe siècle: la justice t'acquitte, moi je te condamne. Les problèmes en Corse ne seront réglés que par des Corses", analyse Gabriel-Xavier Culioli, estimant que "cet assassinat ne restera pas sans réponse". Il observe par ailleurs un phénomène nouveau et plus inquiétant. "Avant on avait affaire à des bandes de voyous, étiquetés voyous qui se rendaient coup pour coup. Ce n'est plus uniquement le cas aujourd'hui. Désormais cette violence atteint aussi la société civile". Il préconise "plus de policiers et magistrats locaux qui connaissent le terrain".
Depuis 30 ans, l'action des pouvoirs judiciaires et policiers est un échec, affirme Sampiero Sanguinetti. Les pouvoirs se heurtent à une défiance généralisée de la part de la population, explique-t-il. "La justice d'exception antiterroriste choque la population corse et rend suspectes les méthodes des autorités qui utilisent des témoignages anonymes. Il y a une opacité sur les méthodes employées, dénonce-t-il, qui est "préjudiciable et qui fait que la population ne veut pas parler". Pour enrayer cette violence en Corse, il préconise "d'assainir la situation économique de la part de l'Assemblée nationale corse", d'une part, et de que "l'Etat clarifie la lutte contre le banditisme et le nationalisme pour redonner confiance aux gens".

La mafia à l'œuvre?

Derrière cet assassinat, c'est "la mafia" qui serait "à l'oeuvre en Corse", a estimé jeudi le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Or, pour Gabriel-Xavier Culioli, journaliste et écrivain corse, qui connaissait Jacques Nacer, l'ancien président de la CCI "n'a jamais été un nationaliste. C'était un brave type qui tenait un magasin, mais pas un voyou", assure-t-il. Selon lui, son assassinat, c'est une réponse à d'autres assassinats. M. Nacer était par ailleurs secrétaire général de l'AC Ajaccio, un club dirigé par l'ancien nationaliste Alain Orsoni. Ancien fondateur du Mouvement pour l'autodétermination (MPA), surnommé "Mouvement pour les affaires" par ses détracteurs, M. Orsoni a échappé à plusieurs tentatives d'assassinat par le passé.
La Mafia en Corse? "L'île est bien trop désordonnée pour ça. Or la mafia pré-suppose un système organisé. C'est simplement une suite de règlements de comptes qui dure depuis des années", a estimé Gabriel-Xavier Culioli. "Le Premier ministre se trompe. Il n'y a pas de mafia en Corse. La violence en Corse, c'est une question complexe. Face aux difficultés de ce qui se passe, on a tendance à utiliser le mot mafia. Or, on est dans l'erreur totale. Le problème corse n'est pas celui de la Sicile. On est davantage dans le grand banditisme", a ajouté Sampiero Sanguinetti.
Mais pour Fabrice Rizzoli, universitaire et auteur du "Petit dictionnaire énervé de la mafia", au contraire, en Corse, tout ressemble à une organisation mafieuse comme en Italie. "Ils font appliquer la loi du silence, ils agissent en association, ils utilisent la violence systémique pour entrer dans le business. Il ne manque plus que ce soit qualifié en droit et que l'on crée en France un 'délit d'association mafieuse' comme en Italie".
cm/mw

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