dimanche 4 novembre 2012

Il faut abolir le mandat d'arrêt européen


Le vrai visage du mandat d’arrêt européen


Par Jean-Claude Paye, sociologue 
Le rejet par la Cour de cassation du pourvoi déposé par Aurore Martin rend ainsi possible sa remise aux autorités judiciaires espagnoles pour « participation à une organisation terroriste ». Cette décision montre la nature directement politique du mandat d'arrêt européen. Aurore Martin est poursuivie pour appartenance à Batasuna, une organisation politique interdite en Espagne, mais légale en France. Cette double décision judiciaire : la validation du mandat espagnol par la cour d'appel de Pau et le rejet du pourvoi par la Cour de cassation, constitue une première en France. Cette affaire dévoile ce que permet le mandat d'arrêt européen et que n'autorisait pas l’ancienne procédure d'extradition. Pour bien comprendre 
la dimension du changement, un petit retour aux sources s’impose.
Profitant des attentats du 11 septembre 2001, la Commission de l’Union européenne avait ressorti de ses cartons un double projet de décision-cadre, l’un relatif à l’incrimination du terrorisme, l'autre à l’installation d’un mandat d'arrêt européen devant se substituer à la procédure d'extradition.
Adoptées toutes deux le 6 décembre 2001 et ensuite intégrées dans les codes pénaux des États membres, ces deux décisions-cadres sont intimement liées. Le mandat d'arrêt prend toute sa dimension liberticide dans le cadre de « la lutte contre le terrorisme ». Rappelons que l'incrimination du terrorisme est immédiatement d’ordre politique. Ce qui spécifie un acte comme tel est l’intention attribuée à l’inculpé de faire pression sur un gouvernement. Ainsi, c’est le pouvoir lui-même qui détermine le type d’opposition qu'il accepte ou celle qu’il criminalise.
Le mandat d’arrêt met en place un mécanisme de solidarité entre gouvernements européens vis-à-vis des oppositions qu'ils désignent comme criminelles. Cependant, au contraire de l’ancienne procédure d'extradition, la décision de remettre la personne demandée échappe formellement au gouvernement du pays qui reçoit la demande. Dans la procédure d’extradition, le contrôle judiciaire portait sur la matérialité des faits et la légalité de la demande. En ce qui concerne le mandat d’arrêt, le contrôle judiciaire ne porte plus que sur la régularité formelle du document. L’abandon des procédures de vérification fait que la remise a un caractère quasiment automatique. Ce mode opératoire renverse celui de l'extradition dans lequel la décision revenait in fine au pouvoir politique.
La procédure d’extradition reposait également sur l’exigence d’une double incrimination : l’extradition n’était possible que si le fait poursuivi constituait un délit tant dans le pays demandeur de la personne incriminée que dans le pays sollicité. Le mandat européen abandonne cette condition : il suffit que le comportement mis en cause constitue une infraction dans l’État demandeur. Ceci explique pourquoi Aurore Martin est remise à l’Espagne pour appartenance à une organisation politique illégale en Espagne, mais légale en France. Cette possibilité découle du mécanisme psychotique du mandat d’arrêt européen. À la réalité des actes du pays demandeur est substituée la légalité présupposée de ceux-ci. Il s’agit là d'une conséquence du principe de confiance mutuelle. Il est posé, a priori, que les systèmes pénaux des pays de l’Union respectent la démocratie et l’État de droit. La mise en œuvre du mandat ne peut être suspendue « qu’en cas de violation grave et répétée par les États membres des droits fondamentaux ». L'autorisation du transfert d’Aurore Martin nous montre que l’existence de juridictions d'exception ainsi que l’utilisation systématique de la torture vis-à-vis des militants basques ne constituent plus, pour la France, « une violation grave » remettant en cause l’extradition d’un ressortissant français.
La revendication d’une « utilisation non politique » du mandat d’arrêt européen, par nature politique, est en soi un non-sens. On ne peut faire face à l’ampleur du déni de démocratie que constitue cette réforme qu'en réclamant sa suppression et le retour à l'ancienne procédure d’extradition.

(*) Auteur de la fin de l’État de droit. 
Éditions La Dispute. Cet article a été publié par L'Humanité

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire