Riacquistu : le chant de la « Terre des Seigneurs »
Publié le mardi 04 octobre 2011 à 10h44 - 1
En fondant le groupe Attallà, quatre jeunes musiciens originaires de la Rocca s'inscrivent dans la droite ligne du Riacquistu
Le paysage musical insulaire accouche d'un nouveau groupe culturel emmené par quatre jeunes chanteurs tous originaires de la Rocca. Aidé par quelques belles plumes sudistes, Attallà livre une collection de chansons qui devrait ravir les nostalgiques du riacquistu.
L'appellation de l'ancienne pieve de Tallano
Avec un nom de scène aussi énigmatique, les frères Marcu et Ghjuvan Francescu Valentini, et leurs amis Yvan Giovannangeli et Antoine Stromboni peuvent d'ores et déjà se réjouir. Ils ont au moins réussi à égayer la curiosité autour de leur projet artistique. Un album, « Lettera Muta », qui puise principalement son inspiration dans l'histoire riche et mouvementée d'une microrégion, l'Alta Rocca, comme le souligne Marcu Valentini : « ce choix est venu très naturellement car nous répétons régulièrement au vieux couvent Saint-François de Sainte-Lucie de Tallano et c'est à cet endroit qu'avait été érigé le château de Renucciu di a Rocca, seigneur de la Pieve et qui régna sur l'île. Attallà est l'appellation de l'ancienne Pieve de Tallano à l'époque moyenâgeuse. » D'emblée, l'artiste plante le décor d'une production qui devrait enchanter les puristes. Des thèmes variés mais classiques pour la plupart, une construction musicale assez sobre et des interprétations tantôt lyriques, tantôt moins viriles et plus subtiles, s'appuyant sur de belles voix et de jolies histoires. Une œuvre qui trouve sa genèse dans l'Alta Rocca bien sûr, mais aussi dans le Valinco, le Sartenais et même le Taravo… À bien y réfléchir, Svegliu d'Isula n'a qu'à bien se tenir. Attallà vient chasser sur ses terres ! Plus sérieusement, les douze créations et le chant polyphonique traditionnel réarrangé qui composent cet opus, méritent une attention toute particulière. D'autant que ces quatre chanteurs aux parcours musicaux divers, ont su s'entourer de quelques plumes aguerries. Alain di Meglio, Cècè Lanfranchi, Paul Desanti, Lisandru Marcellesi et Mariantonia Ferri ont donc rivalisé d'imagination pour offrir quelques-uns de leurs plus beaux textes à leur seigneur Attallà. L'auditeur découvre ainsi « la chanson de Renucciu di a Rocca, qui se présente comme une histoire du Moyen Âge, avec le narrateur qui prend la parole en premier, suivit du peuple qui colporte la légende et du troisième couplet ou Renucciu lui même raconte ses exploits », explique le professeur de langue et culture corse. Ce qui s'apparente par moments à un conte musical propose aussi un vibrant hommage à Ghjuvan Andria Culioli surnommé « U Barbutu di Chera », personnage emblématique de l'extrême sud, fervent participant de tous les concours de poésie et de « Chjami è rispondi » au début du siècle dernier. Autre trésor, « A Ghjastema » sur le ton de la macagna. « Un morceau né de la volonté de faire revivre des expressions assez burlesques et parfois oubliées de notre langue sur le thème des gens qui médisent des autres » précise encore Marcu Valentini. Les histoires d'amour finissent mal… en général, paraît-il. « Sottu a u spechju Mel'Aranciu » et « Fola d'amori » confirment cette règle, tandis que sur « Dui di latu » deux amants se retrouvent le temps d'une valse. Tout comme Christophe Mondoloni sur son second LP, Attallà n'a pu résister au catenacciu de Sartène « Pinitenza », à la guerre de 14/18 « Messa di Suffraghju », et encore moins au temps qui passe « U ruloghju di a vità ».
Un album « Lettera muta » très prometteur
En vrai suzerain, Attallà se permet tout de même une petite fantaisie en reprenant « Dio vi salvi Regina » dans une adaptation qui rompt totalement avec la version traditionnelle. « Sans avoir la prétention d'améliorer ce chant connu de tous, le groupe a souhaité faire quelque chose de différent », justifie Marcu Valentini, principal compositeur de l'album. A noter également, « Lettera muta », le titre éponyme de cette œuvre, qui aborde l'illettrisme et l'incapacité d'exprimer son amour. Tout en restant dans un style assez dépouillé, ce projet devenu réalité a nécessité le soutien de musiciens additionnels. Michel Tomei à la guitare, Elena Filippi au violon, Delphine Maurel au violoncelle ou encore Nasser Soltani qui amène un peu de rythme, grâce à ses percussions, à un disque finalement assez grave dans l'esprit. Les arrangements impeccables signés Christian Nuytten et les interprétations d'une justesse déconcertante sur des morceaux généralement accrocheurs après quelques écoutes, permettent de penser qu'en tout état de cause, cette « Lettera muta » ne restera pas lettre morte.
Mon commentaire : quelle merveille que ce disque ! Il faut vraiment écouter Lèttera muta, la lettre silencieuse (plutôt que muette) qui dit la Corse telle que me la racontait mes grands-parents avec les douleurs de l'arrachement, des amours contrariées et la difficulté de communiquer.
Merci infiniment Monsieur Culioli pour ce que vous êtes, pour ce que vous écrivez ici et sur le JDC.
RépondreSupprimerMerci pour tous ces poèmes. Voici encore un poème que je me fredonne sur les notes de Ferrat, lorsque mon amour pour la Corse m'est trop " à douleur"...
Rien n'est jamais acquis à l'homme,ni sa force, Ni sa faiblesse,ni son coeur,et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur, il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux
Sa vie Elle ressemble à ces soldats sans armes
Qu'on avait habillés pour un autre destin
A quoi peut leur servir de se lever matin
Eux qu'on retrouve au soir désoeuvrés incertains
Dites ces mots
Ma vie
Et retenez vos larmes
Il n'y a pas d'amour heureux
Mon bel amour mon cher amour ma déchirure
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
Il n'y a pas d'amour heureux
Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard
Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson
Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson
Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson
Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare
Il n'y a pas d'amour heureux
Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l'amour de la patrie
Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
Il n'y a pas d'amour heureux
Mais c'est notre amour à tous les deux
Louis Aragon (La Diane Francaise, Seghers 1946)