Mon lecteur anonyme m'envoie cette prière de Voltaire tirée du Traité de
la Tolérance (chapitre 23). Ce traité a été publié en 1763. Ce texte vise
la réhabilitation de Jean Calas, protestant faussement accusé et exécuté pour
avoir assassiné son fils afin d'éviter que ce dernier ne se convertisse au
catholicisme. Jean Calas, père de famille protestant a été exécuté
le 10 mars 1762. Jean Calas appartenait à une famille protestante à
l'exception de sa servante, catholique, et d'un de ses fils, converti au catholicisme.
Suite au
suicide de son fils aîné, la famille Calas se retrouve faussement accusée
d'homicide volontaire.
La
famille est mise aux fers et le père, à la demande populaire, et sur ordre de 8
juges, est condamné à mort malgré des preuves inexistantes après avoir été
atrocement torturé. Le contexte historique est alors encore fortement marqué
par les guerres de religions françaises des siècles précédents.
Suite à
l'exécution de Jean Calas, qui plaide son innocence jusqu'à sa mort, le procès
est rejugé à Paris et, le 9 mars 1765, la famille Calas est réhabilitée
après une campagne courageuse et très solitaire de Voltaire. Voltaire est ici
un pionnier du combat judiciaire et le grand-père d'Émile Zola qui fit tant
pour la réhabilitation de Dreyfus. Merci à l'anonyme !
"Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ;
c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps :
s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et
imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi
qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne
regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs
ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un cœur pour nous
haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions
mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que
les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps,
entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre
toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes
nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ;
que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne
soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument
des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de
la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile
blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même
chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un
jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que
ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite
parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques
fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils
appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie :
car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi
s’enorgueillir.
Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères !
Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en
exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de
l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne
nous haïssons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons
l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis
Siam jusqu’à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant.
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