samedi 7 avril 2012

Quelques réflexions avant la disparition de ce blog


J'avais créé ce blog afin de faciliter la connaissance de notre grève de la faim. Celle-ci s'est achevée avec un double sentiment. D'abord de l'amertume. Nous avons indéniablement échoué pour ce qui concerne notre première revendication à savoir la libération de Guy Orsoni ou tout au moins sa sortie de prison quand bien même cela se ferait avec une surveillance électronique. J'aurais personnellement souhaité que notre mouvement prît fin plus tôt afin que les magistrats ne se sentent plus sous pression. Cela n'a pas été possible pour des raisons multiples et variées. Cette fin de grève s'est donc effilochée. Il était bon qu'elle arrivât. Désormais c'est aux avocats et à eux seuls de travailler pour tenter d'obtenir le maximum de garanties en faveur du mis-en-examen.

Il faut ensuite reconnaître que la mobilisation n'a pas été à la hauteur de ce que nous espérions. Inutile de réinsister sur l'effet désastreux produit par trente ans de rumeurs accablant Alain Orsoni et son fils. Cela a été un véritable obstacle tout au long de cette longue campagne. Ajoutons que les journalistes continentaux ne se sont guère montrés curieux se contentant comme c'est hélas trop souvent le cas de relater les papiers policiers et les dépêches d'agence.

Sans la LDH et la pétition Pour une justice sereine et équitable, nous avions toutes les chances de nous dessécher à Veru dans une indifférence quasi générale. Telle est la vérité certes difficile à accepter mais c'est la vérité. Au fil des jours, notre amertume va disparaître pour laisser la place à un sentiment plus neutre. Nous allons devoir reconnaître que la grève de la faim était un mauvais outil : il avait été utilisé par Alain Orsoni, puis par Jean Toussaint Plasenzotti, par son fils… Cela faisait beaucoup. L'opinion publique a fini par se lasser et la JIRS par se vacciner. Ajoutons que le fait que nous nous soyons repliés sur Veru n'a pas permis notre visibilité totale. Notre amaigrissement devenait en quelque sorte une virtualité qui n'a été brisée que lors de la manifestation à Veru quand Alain Orsoni est apparu extraordinairement affaibli. Il avait alors été question de nous transporter à Ajaccio même. Mais cela n'a pas été possible. Nous aurions du également convoqué un pool de médecins comme nous l'avait proposé la LDH afin de faire constater la dégradation de notre état physique. Là encore, cela devait se faire et cela ne s'est pas fait parce que nous étions las et peut-être un peu découragés.


Nous nous sommes également heurtés au silence consternant de la presse continentale favorisé par la campagne électorale et la lourdeur de l'information dramatique. Il faudra bien un jour qu'à froid, les journalistes des "grands" journaux abordent les questions posées par l'exercice de leur métier : abus des sources judiciaires ou policières sans croisement avec de véritables enquêtes, peur de perdre ces "sources", réticences dès lors qu'il s'agit de la Corse et de schémas qui ne correspondent pas à leurs stéréotypes. Cela étant écrit, je dois avouer que la complexité de la situation locale ne favorise pas sa compréhension et encore moins son explication au grand public.

Dernier aspect négatif à mes yeux et plus personnel : j'étais le seul gréviste de la faim qui n'appartenait pas à la famille Orsoni par le sang ou l'alliance. J'espérais en entrant dans la grève de la faim, remettre la bataille sur le plan d'un principe qui me paraît fondamental à savoir les droits de la défense et la lutte pour les libertés fondamentales. Force est de constater que je suis très vite devenu "un ami de la famille Orsoni". Seul Corse Matin m'a désigné comme l'écrivain Gabriel Xavier Culioli. En perdant mon identité j'ai perdu la neutralité indispensable à notre combat qui risquait de ne plus être celui d'une lutte pour les droits fondamentaux du citoyen mais celui d'une cause asservie au seul cas de Guy Orsoni. Et c'est d'une certaine manière ce qui s'est passé.

J'ai horreur de faire porter sur d'autres la responsabilité d'un échec. Celui-là est le nôtre comme avait été nôtre la décision d'entrer dans cette grève malgré les conseils négatifs de la LDH, des avocats et de nos proches.

Quel sont alors été les côtés positifs de notre mouvement ? Ils ont été multiples. Le premier aspect positif et qui pèsera dans le futur est l'intérêt que nous a porté la LDH locale nationale et internationale. Je rappelle que la FIDH a ouvert une mission d'informations sur les manquements éventuels de la JIRS aux droits de la défense dans le cas de Guy Orsoni. Ce n'est pas rien car cela signifie que si procès il y a il se passera sous le regard attentif de personnes habituées à traquer les écarts commis dans des régimes peu démocratiques. C'est pour nous un début d'assurance que la justice sera peut être obligée de respecter ses propres règles.On remarquera que j'ai assujetti cette phrase à beaucoup de conditions. Le deuxième côté positif est la rencontre avec des centaines de personnes qui bravant les tabous fixés par la rumeur, se sont mobilisés non pour Guy Orsoni mais contre l'injustice dont est victime Guy Orsoni. Sacrée différence ! Dans le premier cas c'est un réflexe tribal dans le second nous entrons de plain pied dans une démarche citoyenne ! Merci donc à toutes ces personnes de toutes origines qui ont accepté d'embrasser la cause de la démocratie.


Il y a ensuite eu les satisfactions personnelles : une grève de la faim est un voyage en soi-même. L'affaiblissement du corps permet à l'esprit d'être lucide sur lui-même et sur la façon dont on se conduit. De la manière dont s'est déroulée la mobilisation, j'ai compris les forces et les faiblesses de la société corse. Il est notamment très difficile de mobiliser les citoyens sur d'autres sujets que ceux qui les touchent personnellement. Dès lors qu'on s'engage pour une cause, on est aussitôt catalogué, rangé dans une case partisane. Être pour une cause qui sert l'intérêt d'un homme ou d'un groupe l'un c'est nécessairement être contre un autre ou contre son groupe. Ceux qui vous en parlent amicalement concluent inévitablement que c'est comme cela, que cela a toujours été comme cela et que cela restera ainsi pour l'éternité. Ce constat est particulièrement décourageant car pour moi il allait de soi que le combat que je mène est valable pour tous et non simplement pour les situations dans lesquelles mes amis seraient impliqués. Cette confusion permanente de l'affectif et du principiel participe du chaos qui règne en Corse. J'avoue toutefois que mon attitude (elle même mélangeant mon amitié pour Alain et la dénonciation de la JIRS) n'a pas contribué à démêler la situation.

On m'a fait remarquer que j'avais été l'ami de Jean Jé Colonna. Et c'est vrai. J'ai eu pour lui une tendresse immense. Je n'aimais pas en lui son côté voyou mais bien au contraire tout le reste ce qui faisait de lui un être à part et particulièrement lucide sur la société corse. Et puis l'amitié ne peut s'expliquer. Je suis l'ami d'Alain Orsoni. Avec lui encore, ce que j'apprécie en lui est justement le contraire de ce qui a fait de lui un dirigeant hors norme de la clandestinité corse. 


Je l'ai écrit cent fois : je considère la violence comme contre-productive. J'estime surtout que personne n'a le droit de tuer son prochain, de lui extorquer de l'argent par la terreur ou même de le menacer quelle que soit la raison invoquée. Quant à l'idée d'opposer l'amitié que j'ai peu avoir pour Jean Jé et celle qui me lie à Alain, elle me semble particulièrement stupide à moins qu'elle ne soit le fait de personnes qui ne connaissent pas la véritable amitié. On ne devient pas l'ami d'un stéréotype humain mais de personnes qui sont toutes différentes les unes des autres. Et c'est heureux ainsi. En devenant ami d'un individu unique, on n'épouse pas nécesairement ses propres amitiés, ses causes et ses problèmes. Sinon cela devient une variété de mariage. Très peu pour moi. Enfin je tiens à préciser que la majorité de mes amis ont une vie des plus normale. Ils travaillent ou sont à la retraite. Nous partageons des sentiments, des moments simples. Ultime précision qui me paraît utile : je n'ai aucune attirance pour la violence, la voyoucratie ou la marginalité et ma sympathie immédiate va plutôt pour le brave type qui travaille pour gagner sa vie que pour le truand, le voleur ou l'escroc. Je suis partisan d'une répression contre ce qui menace les intérêts de la société mais une répression mesurée, dans les clous et égale pour tous.

Dans les derniers mois deux faits m'ont particulièrement marqué : l'assassinat de Marie-Jeanne Bozzi, l'ancienne maire de mon agglomération. En premier lieu, je la connaissais et j'avais de l'affection pour elle. Je ne suis pas allé à ses obsèques de peur de provoquer un incident puisque la rumeur me plaçait dans le supposé camp opposé. À trois reprises, j'ai fait demander si je pouvais venir. N'ayant pas reçu de réponses (il semble que mes messages n'aient pas été reçus) je me suis abstenu. Il m'a été dit plus tard que j'avais eu tort et que c'était alors un moment sacré. Dont acte. Mais l'assassinat de cette femme a certainement marqué un palier supplémentaire dans la barbarie que supposent les exécutions qui se sont succédé chez nous. Le deuxième événement a été la tentative d'assassinat perpétré sur Yves Manunta et sa famille. C'était une ignominie supplémentaire.

Dans un contexte particulier, seule l'humanité que chacun d'entre nous porte en lui, peut permettre de s'extraire de cette sauvagerie qui n'a aucune excuse. Encore faut-il l'invoquer et accepter de se soumettre à ses impératifs. Je dois hélas constater que nous en sommes loin d'un côté comme de l'autre. Je suis donc plutôt pessimiste quant à l'évolution de la Corse dans les mois à venir.

Cette atmosphère empuantie pèse sur les Corses qui sont composés à 95 % de braves gens qui craignent tout à la fois les foudres d'une justice féroce et d'un grand banditisme cruel. Mais à tout prendre, les braves gens préfèrent encore la justice… tant qu'elle ne s'attaque pas aux leurs. Car alors ce ne sont que gémissements et lamentations. Néanmoins, cet état d'esprit explique en partie nos difficultés. Dans les sociétés méditerranéennes on peine à s'engager : on invoque le saint patron, le chef de clan, l'organisation clandestine ou l'état (quitte à le dénigrer à tout instant). Cette dépendance vis-à-vis d'une autorité supérieure (ou supposée telle) créée les conditions de notre misère actuelle. Tant qu'elle existera peu de chose changeront. Mais il faudra toujours essayer et croire en un avenir meilleur. C'est ce que j'ai tenté. J'espère seulement qu'il en restera quelque chose de bien et pas seulement des soupçons qui viendraient s'ajouter aux rumeurs, de la méfiance qui cimenterait de la haine.

Voilà je sors personnellement changé de cette aventure. Je suis maintenant persuadé que la solution des problèmes de l'humanité ne se trouve pas dans la raison raisonnante mais dans l'appréhension d'une réalité au-delà des apparences qui sont notre quotidien. La seule manière d'avancer est de tenter d'être le plus honnête possible avec soi-même, d'éviter autant que faire se peut les mensonges avec autrui, de reconnaître ses erreurs. En essayant d'adopter une attitude droite on peut espérer faire le bien autour de soi. Quant au bien plus global il dépend de synergies qui nous échappent. Pour le croyant que je suis, l'intervention de forces supérieures est déterminante. Mais cette croyance n'appartient qu'à moi et la probité personnelle n'est aucunement dépendante de cette foi.

J'ai aussi compris les mécanismes qui ont mené à la guerre entre nationalistes. C'est l'idée que tout peut se régler avec des rapports de force. C'est de moins en moins vrai tout simplement parce que les anciens rapports de force présupposaient l'existence d'un pouvoir central doté de la capacité de tout décider. Ce n'est plus le cas. Désormais il existe des contradictions au sein même du pouvoir qui favorisent les petits pouvoirs éclatés à commencer par le pouvoir judiciaire. J'ai déjà souligné au passage la contradiction apparente qui a traversé notre mouvement à savoir exiger une justice indépendante et sereine tout en exerçant une pression directe sur elle. J'écris apparente car je trouve justifiée quand la justice dérape de pouvoir mettre en branle une mobilisation citoyenne pour la rappeler à ses devoirs.

Ce blog va donc disparaître car il n'a plus aucune raison d'être. Je vais enfin pouvoir retourner à mes occupations favorites : ma famille, mes amis et mon écriture délaissée depuis un bon moment.

Quant à Guy Orsoni, la partie se joue désormais entre gens de justice et uniquement entre eux. Je considère que toute intervention extérieure serait contraire à ses intérêts.


1 commentaire:

  1. Voilà un constat plein de sagesse et une fin de grève très riche puisqu'elle a permis le surgissement d'une lummière qui éclaire la situation, voilà les choses sont plus claires au bénéfice de tout un chacun
    Gaëtan

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