Corse : en finir avec la justice d'exception en France
Le Monde.fr | • Mis à jour le
Par Pierre Tartakowsky, président de la LDH
Attentats, morts violentes, grèves de la faim…
L'actualité en Corse ne cesse de démentir les promesses de sécurité faites en
son temps par Nicolas Sarkozy. Le candidat président se rendra-t-il en
Corse ? Il devra alors y défendre un bilan et justifier de biens faibles
résultats au regard de la situation d'exception qui caractérise l'île de beauté
en matière de justice. L'exercice sera ardu, tant l'île est placée sous tension
du fait la juridiction d'exception qu'on lui applique. Instituée par la loi
Perben II, la juridiction inter-régionale spécialisée, censément destinée
à lutter contre la "criminalité organisée", est en effet
appliquée à la Corse et ses habitants avec un esprit de système sans rime ni
raison.
Peu de Français mesurent à quel point cette
juridiction est effectivement exceptionnelle. Pourtant, comme le rappelait une
motion soumise à l'Assemblée de Corse, très critique sur le fonctionnement de
la police et de la justice sur ce"territoire", la Jirs
autorise une utilisation de la détention provisoire qui la rend, dans les
faits, sans limite. L'objet n'est plus de protéger la société en limitant la
liberté de mouvement du prévenu mais plus bonnement de le faire craquer.
Éloignement familial, manœuvres dilatoires pour "faire durer"…
tout devient bon pour un magistrat d'autant moins tenté d'instruire activement
qu'il mise sur l'attente. Cette conception limite d'autant la capacité qu'a le
prévenu à se défendre face à une instruction qui peut librement avoir recours à
des témoignages anonymes, sans possibilité de confrontation contradictoire. Par
effet de contamination, cette étonnante justice donne le "la" aux
pratiques de terrains, favorisant un usage à grande échelle des gardes à vues
dérogatoires au droit commun, des interpellations aussi spectaculaires que
brutales de personnes à leur domicile…
Au vu des règlements de compte qui continuent
d'émailler la chronique insulaire, on ne peut pas dire que ces pratiques se
soient révélées d'une grande efficacité contre la "criminalité
organisée". Peut-être cette impuissance relative explique-t-elle un
certain acharnement de la Jirs contre ceux qu'elle parvient à maintenir en
détention ? On est loin, dans ce cas, de l'administration d'une justice
qui contribue à l'apaisement de la société et au développement démocratique
auquel les Corses aspirent.
Dernièrement, un jeune Corse, Lisandru
Plasenzotti détenu aux Baumettes a entamé une grève de la faim
à la prison des Baumettes pour protester de son innocence. Elle a duré plus de
cinquante jours. Il a finalement été libéré… Plus récemment, Guy Orsoni,
incarcéré à Grasse, vient à son tour d'entamer une grève de la faim. Cette
action va être rejointe par d'autres, dont son père Alain Orsoni.
Ces gestes aussi déterminés que désespérés
mobilisent la société civile corse, au-delà des jugements qu'elle peut avoir
sur la question de l'innocence ou de la culpabilité des prévenus. C'est qu'ils
disent l'impossibilité qu'il y a à se défendre dans le cadre de la Jirs ;
qu'ils dénoncent le fonctionnement opaque et inégal consubstantiel à toute
justice d'exception.
D'où de nombreux rassemblements, la mobilisation
de la LDH de Corse, la saisine de l'assemblée de Corse, de nombreux articles de
presse… Ces expressions de lassitude et de colère sont de plus en plus
nombreuses face à des traitements perçus comme autant de marques d'infamie
collective.
Cette attention, cette mobilisation pour une
justice sereine, travaillant en vérité et avec un souci de réelle efficacité
contre le crime tranche positivement avec toute tentation de violence et
d'instrumentalisation qu'on a, hélas, pu connaître. Il serait temps d'y faire
raison.
La volonté de plus en plus nettement affirmée
d'en finir avec une justice d'exception aussi inefficace qu'humiliante pour un
territoire de la République rejoint l'aspiration partagée de tous les Français
à bénéficier d'une justice égale, dotée des moyens de son exercice, offrant à
tous la possibilité d'une défense effective.
Cette aspiration fait écho aux réserves, le mot
est faible, qu'avait émis en son temps la Commission consultative des droits de
l'homme. Après avoir émis des craintes quant à la notion même de "criminalité
organisée", elle précisait : "Le système (...) restreint
au minimum le droit des parties (...) alors même que l'éloignement de la
juridiction spécialisée, ainsi que son mode de fonctionnement ne sont pas sans
incidence sur l'exercice effectif des droits de la défense".
L'ampleur et la diversité des protestations
publiques attestent qu'un seuil a été franchi. Et qu'il est temps, en Corse
comme ailleurs, de tourner la page des justices d'exception. En réclamant la
dissolution de la Jirs, en exigeant, comme le précise la loi, que
l'incarcération préventive soit l'exception et non pas la règle, la Ligue des
droits de l'Homme ne se situe pas en défense contre l'accusation. Elle plaide
pour le procès équitable, le traitement égal des justiciables, qu'ils soient
Corses ou continentaux. Elle le fait bien entendu aux côtés des détenus en
grève de la faim, de leurs familles, de leurs avocats ; mais surtout, elle
le fait pour la justice.
Mon commentaire : cette tribune libre avait été envoyée au Monde après
la parution du très superficiel article signé Yves Bordenave et intitulé Le
clan Orsoni défie la justice, titre qui depuis a fait florès puisqu'il a
été repris par FR3 et tout récemment par Libération. La tribune ne paraît
qu'aujourd'hui d'où un certain décalage avec l'actualité notamment la fin de
notre grève de la faim. Le Monde semble avoir attendu ce moment et le passage
de Nicolas Sarkozy en Corse pour enfin la publier. Elle n'a rien perdu de sa
pertinence. Ce qui est plus gênant c'est qu'elle est truffée de coquilles
typographiques et de fautes d'ortographe que j'ai corrigées. Ce qui est lamentable pour un journal
comme Le Monde.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire