vendredi 13 avril 2012

"Parler de nouvelle guerre des gangs à Marseille n'a pas de sen


Des policiers à proximité de l'endroit où a été abattu un homme, dans la soirée du 12 avril 2012.

Laurent Mucchielli, sociologue et directeur de l'observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux en PACA, revient sur la flambée de violence qui a secoué Marseille ces derniers jours.
La succession d'assassinats de ces derniers jours à Marseille témoigne-t-elle d'une montée en puissance de la criminalité dans la région ?
On assiste dans les médias à une mise en série de ces faits divers, mais parlerde recrudescence de guerre des gangs n'a pas de sens. Nous avons connu le même phénomène en décembre. Si on s'en tient froidement aux statistiques, l'année 2012 n'est pas pire que les précédentes. L'assassinat de jeudi est le dixième de ce type depuis janvier. En 2011, comme en 2010, il y a eu une trentaine de morts violentes à Marseille, dont une dizaine de règlements de compte. Nous sommes donc malheureusement dans la moyenne. La violence est réelle, mais elle n'est pas nouvelle. Seulement, aujourd'hui, la mise en spectacle de cette criminalité s'accompagne systématiquement d'une politisation à l'échelle nationale.
La ville pâtit d'une réputation sulfureuse en matière de criminalité. Est-elle justifiée ?
Le grand banditisme est incontestablement plus implanté à Marseille que dans d'autres villes de France, comme Paris ou Lyon, qui connaissent également ces problèmes. La structuration du milieu délinquant dans la région est ancienne. Pour la période moderne, elle remonte à la fin du XIXe siècle avec la constitution du milieu italo-corse. Elle a connu son apogée entre les années 1950 et 1970, à l'époque de la French Connection, trafic international d'héroïne notamment à destination des Etats-Unis. A Marseille, cette tradition délinquante va de pair avec un imaginaire très méditerranéen, lié à la réussite du "bandit grand seigneur", rebelle à l'Etat mais généreux pour son quartier.
Le trafic de drogue est-il le principal pourvoyeur de criminalité ?
C'est la partie la plus visible, médiatiquement. Certes, le trafic de drogue est très répandu, mais il cohabite avec des formes plus anciennes de délinquance : casinos, machines à sous, prostitution, blanchiment d'argent dans la restauration ou l'immobilier... Les trafics ne sont pas tenus par une organisation structurée et pyramidales. Il existe une série de petits réseaux. Mais statistiquement, selon les données policières, ce sont les vols et les cambriolages qui constituent l'essentiel des faits de délinquance.
Comment expliquer que la délinquance à Marseille soit plus implantée que dans d'autres villes de France ?
Ces violences prennent une telle ampleur parce qu'elles sont ancrées dans un terreau socio-économique favorable. Marseille est une ville pauvre. Un quart de la population vit en ZUS (zone urbaine sensible). Dans certaines cités, la majorité des jeunes de 16 à 30 ans sont au chômage ou inactifs et la situation ne cesse d'empirer depuis la crise économique de 2008. Le trafic nécessite une main-d'œuvre importante (revendeurs, guetteurs, etc). Les organisations délinquantes n'ont aucun mal à recruter parmi ces populations en situation d'exclusion. Face à ces structures criminelles, policiers, gendarmes et magistrats n'ont pas de moyens humains et matériels suffisants. A Marseille comme ailleurs, les servicespubliques de police et de justice sont dans un état de misère. Ce n'est pas en organisant des opérations spectaculaire devant les caméras que les problèmes évolueront.
Propos recueillis par Elise Barthet

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