jeudi 5 avril 2012

Un article du Monde sur une juridiction spécialisée qui n'est pas la JIRS


La France a été confrontée très tôt au terrorisme, bien avant le 11 septembre 2001, et s'est dotée d'un arsenal qui a prouvé son efficacité. Au prix d'une réelle menace pour les libertés individuelles, dont les juges antiterroristes sont conscients. " L'Etat peut se révéler prompt à qualifier de "terroriste" les fauteurs de troubles pour les stigmatiser, reconnaissait en 2008 le juge Gilbert Thiel dans Libération. La tentation peut exister pour le pouvoir, surtout en période de crise, de procéder à ces interprétations abusives. Et les parquets aux ordres du garde des sceaux peuvent être tentés de relayer ces desiderata. "


La France est secouée au début des années 1980 par une longue série d'attentats, de l'Armée secrète arménienne de libération de l'Arménie aux Fractions armées libanaises, avec en point d'orgue, en 1982, les attentats de la rue Marboeuf et de la rue des Rosiers, à Paris. Plus de trente attentats (sans compter la Corse) se succèdent entre mai 1981 et décembre 1986. La nomination de Jacques Chirac en mars 1986, lors de la première cohabitation, est ponctuée d'explosions les 8, 14, 15 et 17 septembre, le dernier tuant sept personnes rue de Rennes, à Paris.
La loi du 9 septembre 1986 fonde alors l'antiterrorisme en France. Le dispositif est durci en 1996 et 2006. Constituent des infractions terroristes les actes qui ont " pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ". La définition est large, et englobe à la fois le tueur au scooter de Toulouse et le poseur de bombes dans le métro. La police obtient des pouvoirs accrus, la garde à vue est prolongée jusqu'à six jours, la présence de l'avocat peut être retardée jusqu'à la 72e heure, il peut même être récusé si on le soupçonne de complicité.

Une approche " préventive "

Les procédures sont centralisées à Paris par un corps de magistrats spécialisés : 9 procureurs et 8 juges d'instruction. Les crimes sont jugés par " une cour d'assises spéciale ", composée uniquement de magistrats depuis qu'un membre d'Action directe a menacé de s'en prendre aux jurés.

Mais l'outil essentiel est l'" association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ", qui permet une approche judiciaire " préventive ". On peut condamner quelqu'un à dix ans de prison s'il est soupçonné de préparer un attentat, même s'il ne l'a pas commis. L'infraction est définie comme le fait de " participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme ". L'incrimination est souple et contestable. On a déjà vu des associations de malfaiteurs composées d'un seul malfaiteur. Les sanctions sont sévères : devant un tribunal correctionnel, la peine maximale est de dix ans de réclusion. Vingt ans lorsque les prévenus sont accusés d'avoir préparé une atteinte à la vie ou à l'intégrité d'une personne. En cour d'assises, les peines peuvent aller jusqu'à perpétuité.

" La protection des libertés individuelles se concilie mal avec le souci d'efficacité de la lutte antiterroriste, reconnaissait le juge Marc Trévidic dans son livre, Au coeur de l'antiterrorisme (ed. JC Lattès, 2011). La raison principale en est précisément la vertu préventive de la lutte judiciaire contre le terrorisme. Pour prévenir efficacement, il faut des moyens très intrusifs alors même qu'aucun attentat n'a eu lieu (...). La solution idéale fut trouvée dans l'utilisation quasi systématique de l'infraction "d'association de malfaiteurs terroristes". Cette infraction est un outil terriblement efficace, mais également potentiellement dangereux pour les libertés individuelles. "


Dans l'affaire Chalabi, 173 personnes soupçonnées de soutenir les islamistes algériens avaient été mises en examen, 138 jugées en 1998 dans un gymnase de Fleury-Mérogis, 55 finalement relaxées. L'Etat avait dû verser près de deux millions de francs à certains d'entre eux qui avaient passé plus de dix-neuf mois en détention provisoire. " Plus le filet est grand, plus il est jeté loin et plus s'accroissent les risques de dysfonctionnement ", avait admis l'avocat général Louis Joinet.

Franck Johannès

PS : Franck Johannès qui m'a affirmé que la JIRS n'état pas une juridiction spécialisée, énonce ici ce qui fait de l'anti-terrorisme une juridiction spécialisée et les risques qu'elle fait courir aux libertés publiques. Sans commentaires…

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