samedi 14 avril 2012

Un article de Libération sur notre grève de la faim


SOCIÉTÉ Jeudi dernier à 22h06

Un clan corse en lutte contre la justice

Paris, octobre 2011. AlainOrsoni, ancien dirigeant nationaliste, aujourd’hui patron du club de foot d’Ajaccio.
Paris, octobre 2011. AlainOrsoni, ancien dirigeant nationaliste, aujourd’hui patron du club de foot d’Ajaccio. (Photo Stéphane Lavoue pour Libération)

REPORTAGEAlain Orsoni et son fils Guy, accusé de meurtres, ont voulu par une grève de la faim dénoncer les «méthodes» des juges. Ceux-ci n’ont pas plié.

Par OLIVIER BERTRAND Envoyé spécial à Ajaccio
Nicolas Sarkozy se pose aujourd’hui à Ajaccio pour sa campagne, et pour «faire le point sur la sécurité en Corse». Vaste programme. En quinze jours, l’île vient de connaître deux attentats à Ajaccio, dont un mortel, une tentative d’attentat contre la sous-préfecture de Corte, le 1er avril, et deux assassinats, dimanche dernier près d’Aléria. Au total, la Corse en est à huit meurtres depuis le début de l’année (22 l’an passé), pour 300 000 habitants.

ras-le-bol. Contraste saisissant, la petite délinquance reste rare, peu de vols, d’agressions. Mais le taux d’homicides culmine parmi les plus élevés d’Europe, provoquant un profond ras-le-bol. Le grand banditisme s’atomise après la mort de grands parrains, et des conflits privés, des projets immobiliers contrariés, se règlent dans le sang.
La justice s’organise cependant. La police aussi. Depuis janvier 2009, la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) a créé un groupe dédié au banditisme corse, dont les dossiers sont instruits par la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Marseille. Choix très critiqué par les personnes ciblées. Guy Orsoni, soupçonné de quatre meurtres en 2009 pour anticiper des menaces qui pesaient sur son père Alain, a mené cinquante-cinq jours de grève de la faim pour dénoncer les conditions d’instruction de ses dossiers. Son père, patron du club de foot d’Ajaccio, l’a suivi (pendant quarante-huit jours), trois proches aussi. En vain. Ils ont arrêté samedi dernier. Les magistrats ont tenu bon.
Même si les grèves de la faim n’ont pas entraîné l’opinion publique corse, trop exaspérée par la violence, André Paccou, responsable local de la Ligue des droits de l’homme, soutient le combat contre «les méthodes» de la Jirs. «Nous ne nous sommes pas posé la question de savoir si Guy Orsoni était coupable ou innocent, précise-t-il. Ce que nous dénonçons, c’est l’utilisation d’une justice dérogatoire au droit commun et aux pouvoirs exorbitants. Perquisitions de nuit sans les intéressés, sonorisation des appartements, garde à vue de quatre jours. Si encore cela permettait de neutraliser des salopards et de permettre à la société de se défendre. Mais pour l’instant, c’est un échec.»
Selon Claude Guéant, le taux d’élucidation des crimes est de 55% en Corse. Sa statistique repose sur des mises en examen, qui pour l’instant débouchent rarement aux assises. Pour le procureur de la République à Marseille, Jacques Dallest, les résultats sont plus longs à obtenir en Corse parce que les affaires sont enchevêtrées et qu’il s’agit souvent d’assassinats mieux préparés, laissant moins de traces.«Nous saisissons la Jirs lorsque les dossiers sont complexes, explique le procureur, qu’ils relèvent d’une criminalité organisée, que les règlements de compte s’inscrivent dans un affrontement. Il faut se spécialiser pour appréhender l’ensemble d’un phénomène. Je ne crois plus à la justice généraliste contre cette criminalité.»
«microcosme». De son côté, l’entourage de Guy Orsoni dénonce les détentions provisoires sur le continent, le recours aux témoins anonymes qui empêche les confrontations. «On a fait venir plein de policiers étrangers au microcosme local, remarque aussi Christian Leca, maire de Vero (Corse-du-Sud), cousin d’Alain Orsoni et gréviste de la faim pendant dix-neuf jours. Il n’y a quasiment plus de flics corses alors qu’ils connaissaient le milieu, avaient une approche plus fine.» L’un des patrons de la PJ dans la région répond qu’effectivement la quasi-totalité de la PJ était corse au début des années 90, ce qui n’est plus le cas. Mais certains fonctionnaires se trouvaient «en difficulté» lorsque les enquêtes approchaient leurs réseaux familial ou villageois. «Peut-être que toutes les critiques actuelles sont à la hauteur de notre travail, nous appuyons là où cela fait mal», espère-t-il.
«échec». A Vero, village de la famille Orsoni, on lit sur les murs :«Liberta pà Guy Orsoni.» Le slogan rappelle le temps où la lutte nationaliste entraînait une partie de la société corse contre l’Etat central. Mais elle ne se laisse pas prendre dans un soutien plus incertain, pour des affaires de droit commun. «La crainte des voyous est plus forte que celle de la Jirs, soupire l’écrivain Gabriel-Xavier Culioli, ami d’Alain Orsoni, qui a participé à la grève de la faim. On a échoué à faire comprendre l’enjeu. Parce que le ras-le-bol est profond, que les villages ont l’impression d’une montée, d’un éclatement du grand banditisme.»
Selon lui, «il est illusoire de penser qu’un pôle de compétence de la justice va changer quelque chose à une société qui part en capilotade, où les enjeux financiers sont énorme autour du foncier et de la drogue». Pour l’écrivain, l’action de la Jirs et de la police judiciaire est parfois contre-productive. «Ici, dit-il, quand vous tapez trop largement, vous créez des logiques de solidarité. Il faudrait faire de la pédagogie, expliquer le travail, les raisons des arrestations.» Et peut-être expliquer aussi qu’on ne tue pas pour un différend.

Mon commentaire : je regrette une fois de plus le titre accrocheur qui reprend celui de l'article d'Yves Bordenave du Monde et d'un reportage de FR3. Le mot clan est encore une fois mis à toutes les sauces. Durant le mois durant lequel j'ai accompagné Alain et Pierre Jean dans la grève de la faim je n'ai jamais eu le sentiment de côtoyer un clan mais bien un père désespéré par la situation de son fils et révolté par les injustices qui lui étaient faites. Je passe sur les élucubrations de Claude Guéant sur lesquelles je me suis déjà exprimées, les échecs répétés de la JIRS comme le prouvent hélas la multiplication des règlements de compte à Marseille et en Corse pour préciser les propos qui me sont prêtés. La Jirs n'est pas parfois contre productive. Elle l'est tout le temps. Elle devrait mieux communiquer mais ne peut pas le faire car elle est enfermée dans sa tour d'ivoire et se situe comme un organisme au-dessus des lois qui n'a rien à dire aux citoyens qu'elle est sensée représenter dans ses actions. Il me semble que j'avais été plus précis dans mes réponses sur la violence insistant sur les responsabilités des Corses qui préfèrent souvent l'affrontement violent à l'explication pacifique. Mais il est vrai que résumer une heure de discussion en quelques lignes est nécessairement frustrant.
J'ai par ailleurs trouvé le journaliste honnête mais un peu tardif dans son sujet et malheureusement obligé de passer par certains clichés pour intéresser son lectorat. 
Nous avons de notre coté un travail à faire pour donner certaines clefs aux continentaux de manière à ce qu'ils comprennent que nous sommes les premières victimes de cette situation. Victimes judiciaires car Guy Orsoni est réellement en proie à un acharchement indigne d'une véritable justice. Victime du grand banditisme qui sinistre notre quotidien. Je sais Alain épuisé de devoir faire face à tous les poncifs en matière journalistique. Et je le comprends. Mais comme nous l'a affirmé Michel Tubiana, président honoraire de la LDH, on ne gagne jamais à avoir la presse contre soi. 

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