Les
jours raccourcissent. Quelque chose s’achève qui hier encore nous irritait et,
déjà, à cause de ce crépuscule qui s’approche, nous emplit de nostalgie. Un été
se termine. Le temps est une comète, ma tendre amie. Nous croyons vivre en son
cœur alors que nous ne profitons que de son achèvement. Vivre dans l’instant…
J’ai bien du mal. La plage m’embête. Hier, nous y sommes descendus. Un quart
d’heure pour étendre nos deux malheureuses serviettes entre trente autres corps
allongés et deux heures à jouer les chiens de berger afin de sans cesse
regrouper notre troupeau d’enfants, si rapides à se disperser dans la foule de
baigneurs.
Les
parents seront toujours des êtres angoissés. Et l’été est pour eux la pire de
saisons. Ils frémissent à chaque seconde redoutant le malheur qui s’avance
sournoisement derrière la banalité d’une plage.
Je conserve deux photos qui dessinent la trace du temps, la ronde des années, m’émeuvent lorsque je les place l’une à côté de l’autre. La première nous représente, mon frère, ma sœur et moi riant avec Maman allongée dans un lit. Nous avons peut-être six ans. Je serre mon frère tout contre moi. Souvent nos souvenirs sont créés par la vision d'une photo. Je suis incapable de dire quel état était le mien à cet instant. J'imagine qu'il se rapprochait du bonheur.
La deuxième est celle de mes quatre enfants un
demi-siècle plus tard. Ils rient aussi. Ma grande fille Vannina surtout qui a eu la douleur de perdre sa mère alors qu'elle avait quatorze ans. La douceur de la
famille est irremplaçable. C’est un nid couvert de duvet. Je pense beaucoup à
mon père et à ma mère qui aujourd'hui sont séparés par la mort et dont je suis,
pourtant, je suis resté leur l’enfant d’autrefois.
La
Corse moderne rime inévitablement avec la mer. Hier, pourtant, les Corses
détestaient cet élément qui n’apportait que maladies, invasions et tempêtes.
Jadis, mes grands-parents, Corses jusqu’au bout des ongles, remplissaient avec
abnégation le difficile devoir de nous accompagner à la plage. Nous nous
rendions à Santa Ghjulia, crique paradisiaque alors déserte et aujourd’hui
envahie par les hôtels, les bungalows et l’industrie touristique. Grand-Mère
retroussait ses jupes afin de nous suivre dans l’eau tant qu’elle le pouvait.
Puis, elle s’arrêtait partagée entre son amour maternel et la peur viscérale,
ancestrale de cet élément hostile qu’était qu’est la mer. Grand-Père, les
jambes également dénudées, détournait la tête avec lâcheté tandis que, tous
trois, nous plongions ignorants des tourments de nos grands-parents, les
éclaboussant en riant aux éclats.
Les
touristes ont fui d’un coup et les plages sont vides. Je sais maintenant que
malgré les embarras de l’insularité, malgré la violence qui m’insupporte,
malgré ce sentiment de vivre au bout du monde, je ne saurais plus me passer de
l’intense flamboyance des couchers de soleil sur la côte de dentelle. Ailleurs,
je chercherais l’odeur entêtante de l’immortelle brûlée par le soleil, celle
plus capiteuse encore de l’arba barona, le thym de nos montagnes. Je vivrais
dans la douloureuse nostalgie de cette terre parfois si difficile à comprendre
et à accepter et cependant indispensable.
Les
incendies ont repris dans le centre de l’île. Il y a quelques années un
sinistre a ravagé la vallée de la Restonica au centre de l’île. Des pins
lariccio qui furent le témoin de la fuite de la famille Buonaparte, alliée à
Pasquale Paoli au XVIIIe siècle, disparurent dans la tourmente.
Deux cent cinquante années de mémoire détruites pour une rivalité entre
tenanciers de baraques. C’est aussi cela la Corse : une terre qui balance
sans cesse entre grandeur et médiocrité, un petit continent en proie à notre
propre méchanceté, à la jalousie, à l’envie, à la détestation de l’autre. Le
feu laisse sa trace pendant une génération. Puis le maquis, cette végétation
noble et sauvage, reprend retrouve ses droits. La nature sait dépasser et
effacer les bêtises de l’homme. Le maquis est roi. Il est le “palais vert”.
Avec
intelligence, il utilise le feu pour pousser plus dru, plus impénétrable que
jamais. Hier encore, il était sillonné des chemins pratiqués par les paysans.
Aujourd’hui il est une jungle moderne dans laquelle prospère le sanglier.
La
nuit dernière, poussée par la faim et la soif, une laie est venue errer autour
de la maison accompagnée de ses six marcassins. Nous les avons observés depuis
la fenêtre de la maison. Ils ont fouaillé le sol puis sont repartis dans le
maquis. Sale période pour les animaux sauvages !
Ils
viennent chercher leur nourriture aux abords des lieux habités. Malgré la
fermeture de la chasse, les hommes des villages continuent de les traquer. Mais
autres temps, autres mœurs, il y a un demi-siècle, les chasseurs partaient à
pied pour des marches de quatre heures afin de rejoindre l’endroit où avaient
été repérées les traces ; Aujourd’hui le 4X4 est roi et les chasseurs
bedonnent dans des tenues camouflées ! Avec le manque d’exercice, la
nourriture à profusion et la mondialisation, mon amie, nous finissons par
nous-mêmes ressembler à des hamburgers. Notre silhouette s’est arrondie et nous
ne sommes plus que l’ombre de notre légende, une ombre caricaturale au ventre
proéminent tout en courbes.
Nous
sommes montés voir u sgiò Paulu Pà. Il avait eu quelques visites dans l’été :
de petits parents qui n’avaient pas trop su quoi lui raconter pour entretenir
la discussion. Il reste toujours aussi droit dans son costume d’un autre âge.
Il tient sa main gauche de la main droite comme pour cacher les taches brunes
qui les constellent. Il reste coquet devant Marianne. Noblesse oblige. Les
enfants courent dans le jardin tandis que nous regardons la côte en silence.
Dans les villages la plupart des volets sont désormais fermés. Les jours ont
soudain raccourci. Le soleil couchant ensanglante un peu plus tôt la mer à
l’heure de son coucher. La Corse s’enfonce dans une léthargie agréable à peine
troublée par la foire di a Santa di u Niolu le 8 septembre. Les figuiers
donnent beaucoup, c’est, paraît-il, un signe d’abondance. Que fortune soit
accordée à la Corse et que la paix soit avec vous, ma douce amie !
Belle découverte que celle d'un Gabriel Xavier Culioli pour avoir voulu chercher à voir la tronche des grévistes de la faim de l'affaire Orsoni ...L'amoureux de la Corse que je suis n'est pas déçu de ce voyage sur la Toile !
RépondreSupprimerCorse , tu me fascines comme une belle sauvageonne demeurée , ignorante de sa beauté du diable et qui serait aussi nativement méchante qu'elle est attendrissante de naïveté ...
Corse tu vois 10% de tes fils naturels ,souvent de puissants philosophes et hédonistes dotés en plus d'un profond sens artistique , contraints de cohabiter avec 90% d'abrutis mégalomaniaques dangereux , des sortes de demeurés mais qui sont néanmoins leurs fréres ...
La consanguinité des montagnes a fini par engendrer le pire et , bizaremment ,le tout meilleur aussi ?
Mais la magie de cette île unique au monde fait que l'on y prend tout en bloc quand on l'aime , et qu'un seul écrivain-poéte et homme de bien et de coeur comme Gabriel Xavier Culioli suffit à vous faire oublier les "faits d'armes" douteux ( comme le doute dont la maitrise est un art ! ) de cent Guy Orsoni oncle et neveu confondu ...