lundi 9 avril 2012

Le drame corse


Le double assassinat de Jo Sisti et de son beau-frère pose une nouvelle fois la question d'un nationalisme perdu dans les méandres des violences micro-régionales. Quand j'ai connu Jo Sisti il y a de cela une vingtaine d'années, il était un militant honnête et courageux. Il avait été menacé par des militants de la Cuncolta et n'avait pas cédé devant la menace. Il était l'ami de Charly Andreani assassiné en 1995. Malgré les morts et les blessures, il avait œuvré pour que la paix revienne entre les diverses factions nationalistes.

Cela n'a donc pas empêché un atroce rendez-vous avec la mort violente, a mala morti en langue corse, la mauvaise mort qui est, toujours dans notre langue, est le pendant de a mala vita, la vie du réprouvé, du bandit. Nul ne peut exactement savoir ce qui a mené à cette fin tragique. Ma première réflexion (déjà écrite hier) est que toutes les rodomontades de la police et de la JIRS ne valent rien à côté de la sinistre réalité corse. Deux fois et demie plus de gendarmes et de policiers que la moyenne nationale n'empêche pas que continue ce petit massacre.

La raison est à la fois simple et complexe. Simple parce que cette tragédie perdure depuis déjà des siècles voire des millénaires. Il n'y a pour s'en convaincre qu'à lire les rapports des Génois et des Français pour saisir l'ampleur de leur désespoir devant cette rage des Corses à s'entre-tuer malgré les répressions, les départs pour le bagne ou les exécutions capitales. Plus d'hommes d'armes n'ont jamais réglé la question corse. À l'inverse plus d'hommes d'armes corses ont été efficaces.

Complexe parce que la question corse n'est malheureusement pas un ensemble unique et cohérent. Comme la Corse est une terre multiple plus archipel qu'île, sa manière de vivre est identique. Le mouvement nationaliste avait tenté de donner une unité à la question corse. Très vite, cette volonté s'est brisée sur les réactions et tropismes de militants habitués à se référer à des habitudes locales, à des chefs locaux. La guerre entre factions nationalistes s'est appuyée sur ce type de différences plutôt que sur des divergences idéologiques. L'un des principes fondamentaux de la vie politique corse est la conquête du pouvoir local plus que celle du pouvoir central. Et pour avoir le pouvoir local, les factions cherchent l'appui de la puissance tutélaire, celle de l'état. La Corse apparaît donc comme une sorte de labyrinthe paradoxal où chacun se perd en cherchant une raison majeure plutôt qu'une somme de raisons mineures.

Si tant est d'ailleurs que l'état ait vraiment eu envie de régler le problème. Les Génois déjà, et avant les Pisans, mais vraisemblablement les Romains encore avant eux, avaient trouvé un moyen plus simple : diviser pour mieux régner. Plutôt que de s'exténuer à vaincre cette hydre aux têtes multiples les possédants de la Corse ont appuyé une clique contre une autre clique variant les alliances au gré de leurs seuls intérêts. Ainsi les Génois ont instauré il taglio pratique qui revenait à offrir l'impunité pour tout bandit ramenant la tête d'un autre bandit. Les Pisans et les Génois ont appuyé certains seigneurs cinarcais contre les autres afin de nettoyer le terrain. Exactement comme l'écrivent les théoriciens de l'anti-terrorisme moderne, ils ratissaient large pour être certains de prendre dans leurs filets les éléments les plus menaçants. La vérité historique oblige à écrire que le régime de Pasquale Paoli agit selon les mêmes principes contre ses adversaires.

La justice est donc toujours aux prises à ces deux tentations. La première est de résoudre les questions criminelles selon les principes stricts du droit. La deuxième est, quand la première tentation a échoué, de remettre tous les crabes dans la même nasse, afin de ramasser les survivants en fin de course.

La Corse vit des périodes convulsives au même rythme que celles de la voyoucratie. J'ai noté que tous les tiers de siècle le grand banditisme se renouvelle dans le sang. Mais autrefois, la richesse se trouvait hors de l'île et les règlements de compte venaient y mourir, si on me passe cette expression malheureuse. Peu ou prou, la Corse restait une terre sanctuaire sur laquelle les grands voyous aimaient à paraître et se présenter comme des êtres respectueux d'hypothétiques valeurs ancestrales. Le proxo ne supportait pas qu'on le traîtât ainsi. Désormais, les colonies n'existent plus (même si quelques Corses continuent à tenir des positions dominantes sur un territoire africain de plus en plus exigü), et le continent est touché par la crise.


De plus, la clandestinité a laissé croire que la richesse ou tout au moins une certaine aisance pouvait s'acquérir par la violence. Enfin, avec un état fort de plus en plus faible, le pouvoir est au bout du fusil. La Corse n'est pas une terre mafieuse au sens traditionnel du terme mais elle est bien capable d'inventer un nouveau concept. Quand la mafia italienne est synonyme d'ordre, la violence corse (anonmique par essence) est en train de recréer une ambiance médiévale quand les bandes seigneuriales se disputaient de maigres pouvoirs et pourtant essentiels à leurs yeux. 


La violence est ici multiforme d'autant que les séparations entre les genres sociaux et les genres culturels sont anéantis par les parentèles et les appartenances micro régionales. N'oublions pas qu'au 17e siècle une majorité de notables du Haut Taravu étaient recherchés pour assassinat quand en Sicile les aristocrates faisaient assassiner par leurs sicaires. Ici le bien comme le mal sont horizontaux et non verticaux.


La lutte contre la violence (et pas simplement celle exprimée par la voyoucratie) passera par une prise de conscience des citoyens. Sans cela, il y aura des accalmies mais de courtes durées qui précèderont inévitablement d'autres bains de sang. Or, qu'on le veuille ou non, cette prise de conscience citoyenne passe par la destruction d'un certain nombre de supposés acquis culturels, le premier d'entre eux étant de protéger à tout prix les siens quand bien même ils se révèleraient de dangereux criminels. Combien de parents ont cru sauver leurs enfants en leur évitant la prison pour les retrouver assassinés dans un caniveau? 


La punition fait partie de l'éducation et parfois il vaut mieux que son gosse soit emprisonné pendant une durée X plutôt que de rejoindre la cohorte de cadavres sanglants au cimetière. Ce qui m'amène à conclure sur la responsabilité de ces parents qui ne se posent pas la question de savoir d'où vient l'argent possédé par leurs enfants et ne pas s'inquiéter quand ces derniers exhibent des armes dans l'intimité du foyer.

1 commentaire:

  1. Ces mêmes parents les laissent exhiber des armes à l'extérieur et refusent les punitions à l'école .
    Il faut peut-être se poser cette question :la Corse n'est-elle pas devenue une terre mafieuse ou camorriste , comme d'autres régions de France ?. A ce sujet il est interessant de lire le dernier livre de Roberto Saviano , auteur de Gomorrra , ''Vieni via con me '' ,où l'on trouve quatre pages qui posent un point de vue extérieur et impartial .Un constat choc !
    De quoi se poser des questions quand on observe le délitement de la société en Corse et l'évolution de sa jeunesse .

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