lundi 30 avril 2012

Comment vivre sans devenir un prédateur

Étant Corse j'ai été habitué à réfléchir d'une manière méditerranéenne c'est-à-dire en fonction du groupe contre la collectivité et de manière individuelle contre le groupe mais de manière cachée. Les Méditerranéens sont issus d'un monde fermé vers le centre et pourtant ouvert vers l'extérieur. D'une manière centripète nous nous enfermons sur nous-mêmes et ce mouvement nous mène au conflit intérieur. C'est là la force d'attraction la plus importante en Méditerranée. Mais cette règle générale est combattue par le désir de l'homme de connaître autre chose et partir loin du centre du maëlstrom où nous nous engloutissons; Si nous possédons la force de nous arracher à cette attraction, nous sommes capables d'aller jusqu'aux confins de l'univers.


L'homme méditerranéen croit au rapport de force comme il croit au destin. En ce sens il est très nietzchéien. Voici ce que Nietzche a écrit dans "Par-delà le bien et le mal" sur ce qu'il pense être la nature profonde l'homme et qui, en fait, n'est que son animalité.

 "Il faut aller ici jusqu'au tréfonds des choses et s'interdire toute faiblesse sentimentale : vivre, c'est essentiellement dépouiller, blesser, violenter le faible et l'étranger, l'opprimer, lui imposer durement ses formes propres, l'assimiler ou tout au moins (c'est la solution la plus douce) l'exploiter ; mais pourquoi employer toujours ces mots auxquels depuis longtemps s'attache un sens calomnieux ? Le corps à l'intérieur duquel, comme il a été posé plus haut, les individus se traitent en égaux - c'est le cas dans toute aristocratie saine - est lui-même obligé, s'il est vivant et non moribond, de faire contre d'autres corps ce que les individus dont il est composé s'abstiennent de se faire entre eux. Il sera nécessairement volonté de puissance incarnée, il voudra croître et s'étendre, accaparer, conquérir la prépondérance, non pour je ne sais quelles raisons morales ou immorales, mais parce qu'il vit, et que la vie, précisément, est volonté de puissance. Mais sur aucun point la conscience collective des Européens ne répugne plus à se laisser convaincre. La mode est de s'adonner à toutes sortes de rêveries, quelques-unes parées de couleurs scientifiques, qui nous peignent l'état futur de la société, lorsqu'elle aura dépouillé tout caractère d' "exploitation". Cela résonne à mes oreilles comme si on promettait d'inventer une forme de vie qui s'abstiendrait de toute fonction organique. L' "exploitation" n'est pas le fait d'une société corrompue, imparfaite ou primitive ; elle est inhérente à la nature même de la vie, c'est la fonction organique primordiale, une conséquence de la volonté de puissance proprement dite, qui est la volonté même de la vie. à supposer que ce soit là une théorie neuve, c'est en réalité le fait primordial de toute l'histoire, ayons l'honnêteté de le reconnaître."

La question fondamentale pour l'homme est donc de savoir s'il est possible de vivre sans tuer, détruire et faire souffrir. Le philosophe indien Krishnamurti y a répondu en 1984 lors d'une émission radiophonique.

 "Un auditeur : Comment peut-on vivre sur cette terre sans lui porter atteinte ou détruire sa beauté , sans apporter la souffrance et la mort aux autres ?

Krishnamurti : Vous êtes-vous jamais posé cette question ? Véritablement ? Pas en théorie, mais véritablement, vous êtes-vous posé cette question, lui avez-vous fait face ? Ne la fuyez pas, n'expliquez pas que la souffrance est nécessaire, et tout le reste, mais regardez-la, affrontez-la. Vous êtes-vous jamais posé une telle question ? Pas en masse, pas pour faire une manifestation contre un politicien qui veut détruire un parc national, ou pour telle ou telle cause.

    Pour se poser une telle question, il faut qu'elle vous consume, que ce soit quelque chose de considérablement important, pas une question fantaisiste pour passer le temps. 

Vivre sur cette terre avec son extraordinaire beauté sans la détruire; pour mettre fin à la souffrance, pour ne pas tuer un autre être humain, pour ne pas tuer une chose vivante. 

Il existe une secte en Inde dont le seul moyen de déplacement est la marche. Ils ne prennent ni le train, ni l'avion ni aucun véhicule et ils portent un masque pour ne pas tuer in insecte en respirant. Quelques membres de ce groupe sont venus voir l'orateur, ils ont marché pendant treize cents kilomètres. Et ils ne veulent pas tuer. 
Il y a aussi ceux qui veulent tuer : tuer pour le sport, tuer pour s'amuser, tuer pour le profit - toute l'industrie de la viande, ceux qui détruisent la terre, rejettent des gaz empoisonnés, polluent l'air, l'eau et polluent les autres. C'est bien ce que nous faisons à la terre et aux autres. Peut-on vivre sur cette terre avec cette grande beauté et ne pas apporter la souffrance et la mort aux autres ? C'est une question très, très sérieuse. 
Vivre une vie qui ne provoque pas la souffrance ou la mort des autres. Cela signifie ne pas tuer un être humain et aussi ne pas tuer les animaux pour se divertir ou pour manger. Comprenez-vous tout cela ? Telle est la question. 
Il y avait en Inde, une catégorie de gens qui ne mangeaient jamais de viande. Ils pensaient qu'il était mauvais de tuer. On les appelait alors les brahmanes. La civilisation occidentale ne s'est jamais posé la question de savoir s'il est juste de tuer, s'il est justifié de tuer une chose vivante. Le monde occidental a détruit des races entières. D'accord ? L'Amérique a détruit les Indiens, elle les a anéantis car elle voulait leur terre et tout le reste. Pouvons-nous vivre sur cette terre sans tuer, sans guerre ? Je peux vous répondre mais, à quoi cela vous servira-t-il si vous tuez ? 
Si vous êtes contre la guerre, comme certains êtres humains, moi y compris, le sont et contre le fait de tuer d'autres hommes, quelle qu'en soit la raison, alors vous ne pouvez même plus poster une lettre ! Le timbre, la nourriture que vous achetez, une partie de ce que vous payez va à la défense, à l'armement. Si vous achetez de l'essence, une parti du prix y va aussi etc., etc. 
Alors que faire ? Si vous ne payez pas les taxes vous aurez des amendes ou vous irez en prison. Si vous n'achetez pas de timbres ou d'essence, vous ne pourrez pas écrire ou voyager. Alors vous vous isolerez et vivre de cette façon semble plutôt futile. Alors que faire ? Allez-vous dire : "Je ne voyagerai pas, je n'écrirai pas ? " Puisque tout cela contribue à soutenir l'armée, la marine et les armements - vous suivez ? -, tout ce racket. Ou bien voulez-vous approcher ce problème de façon différente ? Pourquoi tuons-nous ? Les religions, surtout le christianisme, ont tué énormément de gens. Elles ont torturé des gens, les ont traités d'hérétiques et les ont brûlés. Vous connaissez toute cette histoire. Les musulmans ont fait la même chose. Les hindous et les bouddhistes sont probablement les seuls qui n'ont pas tué - leur religion l'interdit.
Comment vivre sur cette terre sans tuer ou faire souffrir un autre ? Approfondit réellement cette question est un processus très, très sérieux. Est-ce que c'est cette qualité d'amour qui répond à cette question ? Si vous aimez un autre être, êtes-vous prêt à le tuer ? Allez-vous tuer, à part ce dont vous avez besoin pour vous nourrir, des légumes, des noix, etc., à part cela, allez-vous tuer ? 
Approfondissez toutes ces questions et vivez avec, pour l'amour du ciel, ne vous contentez pas d'en parler. Ce qui divise le monde, ce sont les idéaux, l'idéologie d'un groupe contre celle d'un autre, cette division apparemment éternelle entre l'homme et la femme, etc. On a essayé de jeter un pont avec la logique, la pensée, la raison, à l'aide de différentes institutions, fondations et organisations, et on n'a absolument pas réussi. C'est un fait. Le savoir n'a pas non plus résolu ce problème - le savoir dans le sens d'une expérience accumulée, etc. Et la pensée n'a certainement pas résolu ce problème. 
Il n' y a donc qu'une possibilité pour sortir de là : découvrir ce qu'est l'amour. L'amour n'est pas le désir, l'amour n'est pas la possession, l'amour n'est pas une activité égoïste, égocentrique - moi d'abord et toi après. Mais apparemment, cet amour n'a pas de signification pour la plupart des gens. Ils peuvent écrire des livres sur ce sujet, mais cela n'a pas de sens, alors ils essayent d'inventer cette qualité, ce parfum, ce feu, cette compassion. Et la compassion a sa propre intelligence, qui est l'intelligence suprême. Quand il y a cette intelligence née de la compassion, de l'amour, alors tous ces problèmes sont résolus simplement, tranquillement mais nous ne poursuivons jamais jusqu'à son terme. Nous pouvons la poursuivre intellectuellement, verbalement, mais si vous le faites avec votre coeur, avec votre esprit, avec votre passion, alors la terre restera belle. Et il y a alors un grand sentiment de beauté en soi".



Savoir vivre sans violence et en pratiquant le pardon est un exercice difficile qui demande autrement plus de courage que de vivre de la violence et dans la haine. Ce n'est pas simplement une question de morale. C'est une affaire de bon sens. Que tous nos compatriotes qui ont vécu par la violence et qui voient aujourd'hui leurs enfants partir en prison ou mourir sous les balles se posent honnêtement la question. Non pour se livrer à un inutile repentir mais pour briser la chaîne du malheur. 


D'un autre côté, que ceux qui croient que restant passifs,  les forces de répression résoudront le problème de la violence en Corse déchantent. Celles-ci règleront des problèmes ponctuels mais leur action ne mettra pas fin au mal. Lorsqu'elles tranchent une branche (ce qui est nécessaire) elles permettent à une branche en devenir à percer. La solution de la violence corse est dans la capacité des Corses à se mobiliser pour y mettre fin.

2 commentaires:

  1. Quelle belle conscience de ce que nous devrions faire pour laisser à nos enfants un monde meilleur.
    Ce que nous envoyons(haine, violence, bonté, amour) nous revient! Alors choisissez!

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  2. Bonjour, Monsieur.

    J'apprécie beaucoup l'oeuvre de Jiddu Krishnamurti.Connaissiez-vous en Corse un groupe d'études sur cet auteur?

    Merci infiniment,

    Cristiane
    20129 Bastelicaccia

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