vendredi 16 mars 2012

Après le rassemblement d'Ajaccio

Je me sens en pleine forme. Il fait un beau soleil. Les nouvelles de la presse sont très moyennes. Le reportage de Fr3 national a été repoussé à lundi après semble-t-il une discussion au plus haut niveau. De ma vie je n'ai jamais rencontré une pareille omertà journalistique par rapport  un fait objectif : quatre personnes sont en grève de la faim pour obtenir le droit rien que le droit. C'est effrayant de constater la cécité de tous les démocrates qui ne se rendent pas compte que la pourriture d'une société commence toujours aux marges. La gangrène un jour gagnera la France entière si ce n'est déjà fait. Intellectuels, relisez la Peste de Camus.


Nous avons manifesté hier devant la préfecture d'Ajaccio afin de remettre les 1100 premiers signataires de la pétition. Nous étions environ 280 comptés ce qui n'est pas mal du tout pour une petite ville comme Ajaccio même s'il faut saluer celles et ceux qui étaient descendus du nord de l'île et montés de l'extrême sud. La pétition avance de manière plus que satisfaisante. La Ligue des Droits de l'Homme dont je ne dirais jamais assez l'exemplarité, était la colonne vertébrale de ce rassemblement initié par le Collectif "Pour une justice sereine et équitable". Ces termes seulement sont apaisants. Ils posent des principes et non des désirs partisans. Ils signifient que nous voulons une justice qui passe de manière égale et tranquille sur tous les cas (fussent-ils ceux d'amis ou de proches). Ils sont ceux dont cette terre partisane a besoin. C'est pourquoi l'article du Monde était si stupide et si primaire avec son histoire de "clan Orsoni" et de "campagne rôdée". Il est dommage que les journalistes continentaux ne puissent pas passer quelques semaines dans notre île afin de s'imprégner de l'air du temps comme il faudrait que des magistrats se fassent incarcérer un mois pour comprendre les douleurs qu'ils infligent à des citoyens.

Cette manifestation n'est donc pas un échec même s'il n'est pas un déferlement populaire. Désormais, il s'agit de savoir ce qui va rythmer la campagne : le délabrement physique des grévistes de la faim ? Le temps judiciaire ? Vraisemblablement un mélange tragique des deux car la vitesse de l'un et de l'autre n’est guère compatible tout au moins en apparence. Les avocats de Guy Orsoni ont déposé une demande de mise en liberté qui sera selon toute vraisemblance refusée. Guy Orsoni vient de refuser de se faire hospitaliser. Si la demande lui a été faite c'est que son état n'est guère brillant. Il faudra encore deux semaines pour que la chambre de l'instruction rende son avis sur la demande de mise en liberté. Guy Orsoni sera, d'ici là, lié sur un lit de contention et perfusé. Son père Alain aura alors atteint le seuil critique et nous (les deux autres grévistes) serons dans un état lamentable. Je veux dire par là que nous aurons du mal à nous déplacer et que nous aurons atteint un seuil d'amaigrissement dangereux. Alain est fermement décidé à aller jusqu'à l'ultime issue de notre geste. Il va refuser de se laisser perfuser et il en a la volonté.

Alors notre état à tous (n'oublions pas que je ne suis pas un perdreau de l'année) obligera le niveau politique à enfin prendre des décisions. Il est terrible d'en arriver jusque-là et je rêve la nuit qu'hélas notre mouvement bascule dans le drame parce que nous allons atteindre le stade où l'irréparable peut survenir à tout moment.

Un ami très cher m'a suggéré que mon obstination pourrait avoir pour origine une tendance suicidaire. Je préfère mettre les choses au point : j'adore la vie sous toutes ses formes (j'étais notamment très gourmand comme pouvaient le suggérer mes formes généreuses). Je ne me suis jamais senti déprimé de mon existence. J'ai dépendu mon frère jumeau à l'âge de 14 ans. Ma réaction a été d'adhérer aux Jeunesse communistes puis aux Jeunesses communistes révolutionnaires afin de servir et de combattre. Quand ma première femme est morte dans un accident en 1992, j'ai ressenti une tristesse infinie en même temps qu'une volonté de vivre, d'aimer et encore et toujours de me battre.

Aujourd'hui je combats pour des principes. Pourquoi est-ce si difficile à comprendre notamment de la part d'intellectuels de gauche ? Quand ce sont des Corses qui me font cette remarque je la prends comme l'expression d'une culture bipolaire et partisane. Elle m'irrite fortement car bien souvent elle sert à camoufler une inaction sidérale. Mais quand cela me vient de journalistes qui soudain au contact de la Corse oublient toute objectivité et considèrent que "ça ne vaut pas le coup" j'enrage. J'appartiens à une famille qui a toujours montré une grande rigueur morale. Mon grand-père corse était jaurésiste, franc-maçon. Ma famille a accueilli à Marseille durant la guerre des réprouvés (Juifs, Arméniens, résistants). Mon grand-oncle a été l'un des grands résistants du parti socialiste marseillais. Puis il a aidé la Haganah à se fournir en armes passées depuis le continent jusqu'à Ajaccio. Là des avions atterrissaient à Campo dell'Oro la nuit tandis que le préfet de l'époque, Maurice Papon, comme toujours fermait les yeux. J'ai toujours été un militant. Pourquoi soudain serais-je devenu le fourrier du grand banditisme corse ? C'est absurde. Pourquoi l'opinion que je me suis forgée sur Alain Orsoni et à son contact vaudrait moins que celle que des journalistes se seraient faite en étudiant des rapports de police et sans le connaître ? J'ai la prétention d'être un bon juge en matière humaine. Peut-être leur manque-t-il cette qualité essentielle à mes yeux : la curiosité, le besoin de voir et d'entendre pour savoir.

Bref je continue avec bonheur et fierté sans aucune volonté de mourir mais avec le sentiment intime d'accomplir mon devoir, un devoir qui devrait être celui de toute personne se réclamant du beau concept de citoyen, celui qui habite la cité.


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