Nous avons manifesté hier devant la préfecture d'Ajaccio
afin de remettre les 1100 premiers signataires de la pétition. Nous étions
environ 280 comptés ce qui n'est pas mal du tout pour une petite ville comme
Ajaccio même s'il faut saluer celles et ceux qui étaient descendus du nord de
l'île et montés de l'extrême sud. La pétition avance de manière plus que
satisfaisante. La Ligue des Droits de l'Homme dont je ne dirais jamais assez
l'exemplarité, était la colonne vertébrale de ce rassemblement initié par le
Collectif "Pour une justice sereine et équitable". Ces termes
seulement sont apaisants. Ils posent des principes et non des désirs partisans.
Ils signifient que nous voulons une justice qui passe de manière égale et
tranquille sur tous les cas (fussent-ils ceux d'amis ou de proches). Ils sont
ceux dont cette terre partisane a besoin. C'est pourquoi l'article du Monde
était si stupide et si primaire avec son histoire de "clan Orsoni" et
de "campagne rôdée". Il est dommage que les journalistes continentaux
ne puissent pas passer quelques semaines dans notre île afin de s'imprégner de
l'air du temps comme il faudrait que des magistrats se fassent incarcérer un
mois pour comprendre les douleurs qu'ils infligent à des citoyens.
Cette manifestation n'est donc pas un échec même s'il n'est
pas un déferlement populaire. Désormais, il s'agit de savoir ce qui va rythmer
la campagne : le délabrement physique des grévistes de la faim ? Le
temps judiciaire ? Vraisemblablement un mélange tragique des deux car la
vitesse de l'un et de l'autre n’est guère compatible tout au moins en
apparence. Les avocats de Guy Orsoni ont déposé une demande de mise en liberté
qui sera selon toute vraisemblance refusée. Guy Orsoni vient de refuser de se
faire hospitaliser. Si la demande lui a été faite c'est que son état n'est
guère brillant. Il faudra encore deux semaines pour que la chambre de
l'instruction rende son avis sur la demande de mise en liberté. Guy Orsoni
sera, d'ici là, lié sur un lit de contention et perfusé. Son père Alain aura
alors atteint le seuil critique et nous (les deux autres grévistes) serons dans
un état lamentable. Je veux dire par là que nous aurons du mal à nous déplacer
et que nous aurons atteint un seuil d'amaigrissement dangereux. Alain est fermement
décidé à aller jusqu'à l'ultime issue de notre geste. Il va refuser de se
laisser perfuser et il en a la volonté.
Alors notre état à tous (n'oublions pas que je ne suis pas
un perdreau de l'année) obligera le niveau politique à enfin prendre des
décisions. Il est terrible d'en arriver jusque-là et je rêve la nuit qu'hélas
notre mouvement bascule dans le drame parce que nous allons atteindre le stade
où l'irréparable peut survenir à tout moment.
Un ami très cher m'a suggéré que mon obstination pourrait
avoir pour origine une tendance suicidaire. Je préfère mettre les choses au
point : j'adore la vie sous toutes ses formes (j'étais notamment très
gourmand comme pouvaient le suggérer mes formes généreuses). Je ne me suis
jamais senti déprimé de mon existence. J'ai dépendu mon frère jumeau à l'âge de
14 ans. Ma réaction a été d'adhérer aux Jeunesse communistes puis aux Jeunesses
communistes révolutionnaires afin de servir et de combattre. Quand ma première
femme est morte dans un accident en 1992, j'ai ressenti une tristesse infinie
en même temps qu'une volonté de vivre, d'aimer et encore et toujours de me
battre.
Aujourd'hui je combats pour des principes. Pourquoi est-ce
si difficile à comprendre notamment de la part d'intellectuels de gauche ?
Quand ce sont des Corses qui me font cette remarque je la prends comme
l'expression d'une culture bipolaire et partisane. Elle m'irrite fortement car
bien souvent elle sert à camoufler une inaction sidérale. Mais quand cela me vient
de journalistes qui soudain au contact de la Corse oublient toute objectivité
et considèrent que "ça ne vaut pas le coup" j'enrage. J'appartiens à
une famille qui a toujours montré une grande rigueur morale. Mon grand-père
corse était jaurésiste, franc-maçon. Ma famille a accueilli à Marseille durant
la guerre des réprouvés (Juifs, Arméniens, résistants). Mon grand-oncle a été
l'un des grands résistants du parti socialiste marseillais. Puis il a aidé la
Haganah à se fournir en armes passées depuis le continent jusqu'à Ajaccio. Là
des avions atterrissaient à Campo dell'Oro la nuit tandis que le préfet de
l'époque, Maurice Papon, comme toujours fermait les yeux. J'ai toujours été un
militant. Pourquoi soudain serais-je devenu le fourrier du grand banditisme
corse ? C'est absurde. Pourquoi l'opinion que je me suis forgée sur Alain
Orsoni et à son contact vaudrait moins que celle que des journalistes se
seraient faite en étudiant des rapports de police et sans le connaître ?
J'ai la prétention d'être un bon juge en matière humaine. Peut-être leur
manque-t-il cette qualité essentielle à mes yeux : la curiosité, le besoin
de voir et d'entendre pour savoir.
Bref je continue avec bonheur et fierté sans aucune volonté
de mourir mais avec le sentiment intime d'accomplir mon devoir, un devoir qui
devrait être celui de toute personne se réclamant du beau concept de citoyen,
celui qui habite la cité.
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