dimanche 18 mars 2012

Lettre à un ami qui ne m'a pas aidé

Voici ce que j'ai répondu à un ami qui a trouvé mille raisons pour ne pas m'aider et ne pas faire son travail de journaliste. Cette réponse est valable pour les Corses qui se complaisent dans la rumeur et y trouve les raisons de leur passivité.


Mon ami, surtout n'aies pas de regret si tu penses vraiment avoir raison. Ma divergence avec toi tient peut-être en un seul aspect du problème. Quand Alain m'a intrigué je l'ai rencontré. Je l'ai interrogé. J'ai vérifié ce qu'il a dit parce que les témoins existent encore. Et je t'affirme que tu as tort sur le fond (ce que tu dis est en grande partie faux) mais tu as surtout tort sur la forme tout comme Ariane Chemin.

Je te le dis parce que j'ai vraiment de l'affection pour toi et peut être qu'en agissant à ma manière tu auras enfin le sentiment ne plus effleurer ta vie : notre seule richesse est notre capacité à chercher sous les apparences la vérité des hommes. Alors l'existence devient une mine extraordinaire et alors seulement tu peux parvenir à changer les êtres que tu rencontres, sans leur admonester de leçons de morale, par ta seule présence. Je me fiche de ce qu'ils ont été. Seul m'intéresse ce vers quoi je peux les aider à aller.

Quant aux rumeurs, souvent le fait d'ennemis ou de policiers, elles ne m'intéressent pas. Je préfère me fier à ce que je ressens. C'est plus vrai que les bruits invérifiables. L'histoire de drogue concernant les Orsoni est une douce plaisanterie qui ne tient pas la route une seconde pour peu que tu fouilles un peu. Tu en auras une explication dans le livre Le Maquis ardent.

La mainmise sur Ajaccio ? une vaste plaisanterie. D'anciens militants du MPA ont certes pris des positions dirigeantes à l'époque du nationalisme triomphant. Ils se sont comportés comme des notables affairistes à la façon de tous les notables affairistes de France et de Navarre avec la complicité des autorités qui ne désirent que la paix. C'est vrai. Mais Alain était loin. Et en admettant même qu'il ait été au courant de tout cela, faut-il considérer qu'il est né coupable et qu'il le restera à jamais ? Peut-on accepter que son fils subisse un sort injuste parce qu'il est le fils de son père ?

La justice a un premier devoir : celui d'éviter la vengeance. Elle en a un second avant même la punition : être exemplaire. De toute manière ce n'est pas Alain qui est en cause dans notre action mais le comportement de la JIRS qui, que tu le veuilles ou non, a les mêmes pouvoirs exorbitants que la DNAT. Pour combattre la Mafia sicilienne, le préfet Mori, envoyé par Mussolini, a usé de la torture, de la déportation, de l'emprisonnement arbitraire. Il est parvenu à ses fins mais il a eu tort. La preuve : la Mafia a retrouvé toute sa vigueur après guerre. Ces phénomènes de grande délinquance sont à combattre mais en ayant conscience que leurs racines sont autrement plus complexes et plus profondes que la déviance de quelques individus. Ils ont trait à l'extériorité d'un territoire par rapport au centre du pouvoir. Ils tirent leurs forces et leurs forces de situation économique désastreuse. Il faut les combattre sans faiblesse mais selon le droit et seulement le droit.

En 1958 à Alger seuls De la Bollardière et Teitgen, l'un général l'autre secrétaire de la police, ont démissionné pour protester contre l'usage de la torture. Eux seuls ont été honorables même si je pense que les actions du FLN, quand elles consistaient en des attentats aveugles devaient être combattues sans concession mais sans arbitraire. Tu m'accorderas cependant que le vrai problème résidait essentiellement dans le sort injuste fait aux Algériens et que dans cette tragédie seul Albert Camus et sa voie modérée avait raison.

Quant au mythe de la mafia orsonienne… les bras m'en tombent. Tu me disais au téléphone que mes attaques contre Bordenave n'étaient pas dignes de toi. Eh bien ta diatribe contre la mafia orsonienne est indigne de ce que tu es vraiment. C'est tellement invraisemblable quand on connaît la réalité que je ne sais trop quoi dire. Mon ami qui m'a oublié, j'aimerais que tu acceptes tout simplement la possibilité de t'être peut être trompé et j'insiste sur le "peut-être" et accomplir cette simple démarche d'honnêteté journalistique (j'allais écrire démarche d'honnêteté humaine) : venir vérifier sur place. Je te paie un billet d'avion pour venir. Tu interroges qui tu veux à commencer par Alain et tu te fais une idée.

Voilà l'attitude à mes yeux digne d'un journaliste. Elle ne consiste pas à écouter les ragots des uns et des autres, de prêter une oreille particulièrement attentive aux propos d'un avocat pétri de haine et de rancœur contre l'humanité entière. Le reste n'est que du vent.

Je vois Alain vivre chichement, emprunter à droite à gauche pour payer les avocats, les voyages vers l'Amérique latine afin de tenter de retrouver sa plus jeune enfant. Mais surtout, Franck, quand on fait un reportage sur une grève de la faim (puisque tel était le sujet, le fameux défi) la moindre des choses est d'interroger les grévistes de la faim, de leur demander les raisons de leur action sans préjuger de ces raisons.

Je suis un de ces grévistes et je suis ton ami. Or Bordenave ne m'a jamais téléphoné alors qu'il a mon numéro de téléphone.

Nous avons rencontré hier le président d'honneur de la Ligue des droits de l'homme Michel Tubiana qui mène actuellement des actions exemplaires dans les pays arabes et en Palestine. Il est venu nous voir avec la présidente de la Fédération internationale des droits de l'homme. Nous voilà loin des diatribes de la LDH locale. D'ailleurs Tubiana qui avait été à la Ligue avec moi et qui a été au lycée avec ma première femme, m'a dit beaucoup de bien de toi.

La ligue va s'associer à la conférence de presse donnée par les avocats de Guy Orsoni à Paris sur la question des droits de la défense systématiquement bafouée par la JIRS. Crois-tu vraiment que le clan Orsoni a trompé la LDH nationale et la FIDH ? Je crois qu'ils seraient assez irresponsables pour risquer leur réputation à venir visiter de sinistres "mafieux" corses ? Interroge-toi au lieu de rester pétrifié dans la gangue de tes certitudes.

Alors une simple suggestion : peut-être que vous vous trompez et que nous sommes tout simplement trois Corses soudés par une belle amitié et décidés pour des raisons à la fois personnelles et de principe à mener leur combat jusqu'au bout. `

Michel Tubiana, qui t'estime, m'a expliqué que si tu ne bougeais pas c'est que nous n'avions aucune chance. Ce n'est pas mon avis. Je crois que nous avons d'autant moins de chances que la presse se tait ou nous est hostile pour des raisons qui défient la déontologie journalistique.

Alain ne laissera jamais tomber son fils. Je ne laisserai jamais tomber Alain qui est mon ami. Mais surtout, je refuse de plier devant les préjugés et la crétinerie orgueilleuse des magistrats de la JIRS. Ca m'est vitalement impossible. Non que je sois suicidaire. Au contraire j'aime la vie à en crever. Eh bien écoute je trouve que dans cette société de merde l'honneur et le panache sont encore ce qui nous restent. Vaincu le soir de la bataille de Pavie, François 1er aurait lancé : "Tout est Donc yallah, Franck. Je me fous d'entrer dans la gloire post mortem. Mais il m'importe de vivre avec une certaine idée de ma propre dignité.

Cela étant dit je te renouvelle mon affection qui est au-delà de mes critiques.
Gabriel

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