L'organisme
commence à faiblir. Mes nuits sont entrecoupées de rêves plus ou moins heureux.
Je pense beaucoup à Nadine, à mon frère, à mes grands-parents adorés, à ma mère
qui nous a quittés en juin dernier. Je présume que l'esprit refait le tour de
la question de mon existence et se pose des questions quant à l'avenir. Pourtant
rien n'est franchement triste dans cette réflexion plus ou moins consciente.
C'est un état de fait dominé et dirigé par le désir de l'emporter.
La
fatigue arrive par vagues. Elle semble d'abord se heurter aux résistances à la
fois physiques et psychiques. Puis, soudain, sans crier gare, elle déborde ces
digues. Les membres n'ont plus d'énergie. Le cerveau s'embrume. Et il faut
attendre passivement que cela passe. L'organisme va alors puiser dans les
réserves de graisse. Sté, le frère d'Alain, est un grand sportif. Il nous a
tout expliqué de notre délabrement progressif. 9000 calories par kilo de
graisse. Santa Madonna, je pourrais encore résister des mois… Au moins en
théorie. Parce que le plus grand danger qui nous guette maintenant n'est pas la
léthargie puis le coma. C'est l'accident qui survient à un corps vieilli et
fatigué.
Je n'ai
évidemment aucune envie que cela m'arrive. J'ai envie de profiter de la vie, de
ma femme et de mes enfants. Mais cela ne peut se faire à n'importe quel prix.
C'est ce que je voudrais explique à tous mes amis du continent qui m'adjure de
cesser la grève de la faim et de penser aux miens. Pour moi l'équation n'est
pas celle-là. Je ne conçois pas une existence dans laquelle tout geste, toute
pensée serait pesée à l'aune de ma seule survie. Cela m'est impossible. D'abord
parce que le risque est partout : lorsque j'enfourche mon scooter, lorsque
je vais me baigner en décembre dans la mer etc.… C'est ainsi. Tout au plus
pouvons-nous espérer limiter la possibilité d'accident. Mais enfin je me bats
en Corse pour faire passer une idée de citoyenneté c'est-à-dire la nécessité de
la primauté du bien commun sur le bien particulier ou tribal. Et moi-même je ne
serais pas capable de me mettre en péril pour ce que j'estime être le cœur de
ma démarche, la dignité humaine ? Allons donc ! J'ai en horreur
l'attitude qui consiste à toujours s'en remettre à une force supérieure, la
police, la justice, le FLNC, le parrain. Je commence par accomplir mon travail
puis je regarde où j'en suis. En l'occurrence dans le cas qui nous regarde, la
justice n'est plus la justice. La police n'est plus la police et il n'est pas
question de faire appel à la violence. Que nous reste-t-il sinon cette mise en
danger de nous-mêmes destinée à attirer l'attention sur notre combat.
Je l'ai
déjà écrit mais je plains toutes celles et tous ceux qui se cachent derrière la
réputation d'Alain ou encore l'encensement de la JIRS pour se taire. Ce sont
les mêmes qui demain viendront voir la Ligue des droits de l'homme afin qu'elle
se batte pour eux ou pour leurs enfants. Quitte à lui cracher dessus sitôt le
combat terminé ou censément être terminé.
Comme l'a
si justement écrit mon ami journaliste qui ne m'a pas aidé, j'ai toujours conçu
mon existence comme un combat ou tout au moins une marche vers ce point
lointain qu'on appelle un idéal. Mon idéal peut se résumer en quelques mots :
les injustices me déchirent le ventre, me bouleversent l'âme et le cœur et me
poussent à me révolter. C'est ce que je fais. Je me mépriserais si à un moment
donné je choisissais mon petit confort personnel contre la dénonciation d'une
saloperie. Or le sort qui est réservé aux Orsoni, n'en déplaise à tous ceux qui
prêtent une oreille complaisante aux sifflements des serpents, est une
saloperie. Je me suis donné la peine d'enquêter, d'interroger les uns et les
autres, de faire le tri parmi les informations. Je ne suis pas simplement
convaincu de ce que j'écris. J'en suis certain. J'ai évidemment trouvé des
hommes qui m'affirmaient que les Orsoni avaient trafiqué de la drogue. C'était
tous des hommes qui le haïssaient tels cet avocat, défenseur de la partie
adverse, hier grand zélateur des Orsoni et aujourd'hui pour une sordide affaire
de jalousie, grand stigmatiseur devant l'éternel. Je connais ce personnage. Il
est capable par haine d'inventer n'importe quoi. Or c'est lui qui a usé de son
pouvoir affectif sur une journaliste employée par un grand hebdomadaire pour
répandre dans les rédactions parisiennes ce bruit. Aucun de ceux qui le répande
(n'est-ce pas mon ami qui ne m'aide pas ?) ne s'est donné la peine
d'enquêter. C'est ainsi qu'on taille à une réputation à quelqu'un, réputation
qui permettra demain qu'on l'abatte comme un chien.
Oui j'ai
enquêté sur tout cela. Et j'ai été le seul parce qu'il est plus facile de baver
en donnant l'impression qu'on connaît l'alpha et l'omega du drame corse alors
qu'on peine déjà à décrire la couleur de ses chaussettes.
Voilà
tout ce qui m'a poussé à m'indigner et à tout naturellement me révolter. La
Ligue des Droits de l'Homme (dont je suis un adhérent sans en être militant),
Alain ne voulaient pas de ma grève de la faim. C'est moi qui l'ai imposée. J'ai
agi ainsi pour tenter de désenclaver la famille Orsoni, pour essayer de briser
sa solitude. Avec un certain orgueil je me suis dit : "je suis
l'écrivain qui vend le plus de livres en Corse, je suis chroniqueur dans le
Journal de la Corse. On ne peut me soupçonner de participer à une quelconque
entreprise mafieuse". J'ai donc espéré que cela permettrait un traitement
objectif de notre grève de la faim. Hélas ! Le Monde m'a classé comme
"un ami de la famille" concept crypto mafieux qui rappelle le
Parrain.
Hier nous
avons longuement analysé la situation qui, pour nous, est inchangée. Notre
combat ne deviendra réel pour la plupart des gens mais aussi pour les autorités
qu'à l'instant où le drame deviendra vraisemblable et prévisible. Aucun d'entre
nous n'a l'intention d'accepter l'hospitalisation et encore moins la perfusion.
Ce sera alors à l'opinion publique de juger de notre sort et à l'autorité
politique de faire en sorte que chacun s'en sorte la tête haute.
Contrairement
aux allégations du Monde, nous ne voulons pas défier la justice et encore moins
la faire céder mais l'obliger à être juste c'est-à-dire à devenir ce qu'elle
n'aurait jamais dû cesser d'être.
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