mardi 6 mars 2012

Un après-midi à Veru

Le village de Veru est en partie noyé dans les brumes. Voilà la vraie Corse… Une terre les pieds et la tête dans l'eau… En haut, en bas… Et le maquis qui lui-même ressemble à une gigantesque vague qui dévalerait le long de la montagne. 
J'ai tenté d'y aller en scooter. Mais le froid m'a envahi. Avec mon rhume je commençais à me sentir mal. Cela va faire deux jours que j'ai arrêté de manger. A priori tout va bien. J'ai été prendre la voiture et c'est en conduisant que je me suis rendu compte que je commençais à être fatigué. Je suis moi aussi brumeux.
À Veru j'ai retrouvé les autres grévistes de la faim. Alain est de plus en plus comateux. Christian reste parfois de longues secondes la mâchoire ballante. Pierre-Jean a toujours faim. J'ai le sentiment que dans une semaine nous allons ressembler à une maison de vieillards à la dérive. Pour une fois, c'est moi qui vais paraître le plus jeune. Allelujah! Papy fait de la résistance !

Frédérique, la mère de Guy, est arrivée avec un caméraman free lance. L'apparence comme je les aime. Vieux gaucho souriant! Il nous a filmés en train de parler de notre lutte, de nos espérances.
Nous avons redit que pour nous la lutte contre le grand banditisme pour être efficace passait nécessairement par une mobilisation citoyenne et non par les incursions de cow boys aussi brutaux qu'inefficaces. 
Nous n'avons pour projet de faire plier la justice! Notre but est exactement contraire. Nous voulons que la justice passe selon les règles du droit et non pas comme un bulldozer. 

J'ai rappelé que je viens de familles socialistes. Du côté corse, Grand-Père était un jauréssien et un franc-maçon. Mon grand-oncle Xavier était également socialiste et franc maçon. Il a été un grand résistant et un grand policier. Grand-Père a été chassé de la fonction publique pour son appartenance à la franc-maçonnerie. Mon père et ma mère ont été des militants communistes avant de partager les idéaux socialistes. Mon grand père suédois était un social démocrate qui a participé au mouvement d'Adalen qui en 1931 a porté le sociaux démocrates au pouvoir. J'ai entendu parler toute ma jeunesse du combat pour Dreyfus, puis celui en faveur de Sacco et Vanzetti. Papa et Maman ont milité pour les époux Rosenberg exécutés aux Etats-Unis parce qu'on les accusait d'avoir espionné au profit de l'URSS. Papa s'est fait matraqué de nombreuses fois pour avoir manifesté pour la paix en Algérie et contre la torture.

La grève de la faim que j'ai entamé est pour moi dans la droite ligne de ces glorieux combats auxquels participa la Ligue des droits de l'homme créée au moment de l'affaire Dreyfus. Nous avons raconté chacun les raisons de notre combat. Je me suis indigné de ce que la presse nationale soit étrangement silencieuse sur notre grève de la faim. Ce n'est quand même pas si banal. Mais les journalistes préfèrent en définitive les Corses voyous aux Corses citoyens. Quant aux candidats, il faudrait qu'ils ouvrent enfin les yeux sur les vrais problèmes. Je veux parler de la gauche qui est tombé dans le piège du tout sécuritaire comme si l'augmentation du nombre de policiers ou du nombre de places de prison allait régler la question de la pauvreté elle-même créatrice d'attitudes "déviantes". 

Tant que la gauche se coulera dans le moule de la pensée unique sécuritaire, elle parviendra peut être à être élue mais elle faillira à sa tâche réelle : changer le monde. N'oubliez pas camarade qu'au 19ème siècle les classes laborieuses étaient des classes dangereuses. Les pauvres sont redevenus des misérables hugoliens. Il faudrait savoir de quel côté les représentants de la gauche se situent. 

Nous nous sommes quittés dans un état de somnolence. Rendez-vous dans deux jours pour une émission sur BFM télé. La communication commence à prendre. L'éditeur du livre d'Alain Un destin corse a décidé de prévenir la presse de son côté. 

Toute la question est de savoir si la progression de notre fatigue sera moins rapide que la lenteur de la mobilisation médiatique.

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