jeudi 15 mars 2012

Un article à charge sur le quotidien Le Monde

Yves Bordenave est journaliste au Monde. Il a commis un article intitulé "Soudé dans la grève de la faim, le clan Orsoni défie la justice".

Je suis l'un des grévistes de la faim qui proteste contre les juridictions d'exeption et je dénonce les mensonges et les approximations contenues dans ce papier.

Le titre est évidemment un condensé des lieux communs qui traînent sur la Corse (le clan, le défi à la justice) et un mensonge.

Parler d'un "clan Orsoni" relève du grotesque. Il suffit pour s'en rendre compte que de monter à Veru pour se rendre compte que notre grève de la faim a quelque chose de terriblement solitaire. Oui nous sommes soutenus par des centaines de personnes. Mais qu'ont-elles à voir avec un quelconque "clan"? Nous ne connaissons pas la plupart du millier de signataires de la pétition initiée par des syndicalistes et des personnalités de la société civile grâce à la Ligue des droits de l'homme. Nous n'avons cessé de dénoncer la justice d'exception. Nous avons expliqué que nous n'entendions nullement faire plier la justice mais au contraire obtenir la justice.

Je suis certes un ami (récent) d'Alain Orsoni. Cette belle amitié est née durant son incarcération commencée en juin 2009. Auparavant, j'avais de lui l'opinion négative véhiculée par les rumeurs. Mais j'ai changé d'avis car après enquête je me suis rendu compte des inepties accumulées sur son personnage.

Et pourtant je suis un homme libre et je n'appartiens à aucune camarilla, clan ou parti. Réalité difficile à comprendre pour ceux qui ne connaissent pas la vraie amitié. Lorsque je parle avec Alain, il n'y a pas de hiérarchie et parfois même je suis en total désaccord avec lui notamment sur ses actions politiques passées.

Pour ce qui concerne cette grève de la faim, nous nous battons certes pour la libération d'un homme, son fils que nous pensons incarcéré pour de mauvaises raisons. Et notre geste est la conséquence d'un principe fondamental : le respect de la présomption d'innocence. Masi tout comme la LDH je refuse de me prononcer sur le fond (l'innocence et la culpabilité) estimant que c'est à la justice de passer mais à la justice citoyenne.

Deuxième remarque : si l'accroche de l'article précise bien que Guy Orsoni est en grève de la faim depuis le 13 février, M. Bordenave se garde bien de parler d'un mois de grève de la faim. Il utilise le mot de jeûne ce qui, en période de carême chrétien prend évidemment un relief particulier voir humoristique. Le terme de grève de la faim contient une connotation politique donc noble et dérange à ce titre M. Bordenave, fidèle soutien de la JIRS.

Il cherche à nous faire passer pour des membres d'une tribu sauvage qui défend les siens jusqu'à la mort fussent-ils coupables des pires des méfaits. Je rappelle au passage que nous n'avons eu de cesse de stigmatiser ce mal terrible qu'est la voyoucratie, que cela fait maintenant plus de vingt ans (je n'ai pas attendu les journalistes zazous) pour épingler le grand banditisme et en dénoncer les méfaits. Mais nous avons dit que c'était à la société corse de se donner les moyens de juguler ce mal par l'éducation d'abord, la citoyenneté ensuite. Et quand la répression doit passer, elle doit se faire par le truchement d'une justice banale et à ce titre acceptée par tous et non par des juridictions d'exception qui, dans la mémoire collective de la Corse, résonnent sinistrement.

Donc petit galop d'essai en début d'article : Guy Orsoni (dont il n'est jamais souligné qu'il pourrait être innocent) est décrit par le menu comme un délinquant professionnel. Puis c'est la description d'une famille soudée qui fait bloc "contre la justice". Joignez les termes de "famille" et de "clan" et vous voilà suggérée la connotation mafieuse. "C'est que le clan, soudé autour de la personnalité emblématique d'Alain, a su à la faveur des engagements nationalistes des années 1980 et 1990, se constituer des affidés auprès d'acteurs plus ou moins influents au sein de la société insulaire. Avec des accointances jamais démenties dans les secteurs de la vie économique, politique et sportive de l'île, la famille Orsoni bénéficie de nombreux relais prêts à défendre sa cause. Il en est ainsi à la chambre de commerce et d'industrie de Corse-du-Sud, dans les journaux insulaires, dans le champ politique auprès des autonomistes du Parti de la nation corse (PNC) et de son chef Jean-Christophe Angelini ou encore dans le secteur sportif, avec le contrôle de l'équipe de football de l'AC Ajaccio, qui évolue en Ligue 1." Politique, grand banditisme, football, M. Bordenave insinue sans affirmer.

Il évoque la méthode "rodée" de défense des Orsoni. "Même la section corse de la Ligue des droits de l'homme y va de sa diatribe contre "l'arbitraire" de la JIRS. Ce système de médiatisation est d'autant mieux rodé qu'il a déjà été éprouvé au printemps 2010 par Orsoni père. Incarcéré par les mêmes juges de la JIRS dans l'un des trois dossiers qui concernent son fils, Alain avait fini par être mis en liberté après dix mois de détention provisoire et une campagne analogue".

M. Bordenave aurait pu se renseigner auprès de nous. Il aurait appris que la campagne pour la libération d'Alain a été entreprise après un échange de lettres entre Alain (alors en prison) et moi-même qui apprenait à peine à le connaître. On peut tricher avec les paroles. Mais les mots qu'ils utilisaient pour moi sonnaient juste. J'ai eu envie de l'aider. Je lui avais demandé de me mettre en contact avec quelqu'un avec qui je pourrais entamer une campagne. Cela avait été Stéphane son frère.

Durant des semaines nous avons trimé dans une immense solitude. Je me demande où était alors le fameux clan Orsoni. Nous nous heurtions à tout instant à la légende noire de l'ancien dirigeant du Flnc alimenté par les articles d'Ariane Chemin dans le Nouvel Observateur. Mes collègues de travail peuvent en témoigner. Jour après jour, nous avons tenté de convaincre les uns et les autres avec des périodes de découragement puis de sursaut : nous ne pouvions abandonner Alain.

Puis, grâce à la Ligue des droits de l'homme qui a embrayé sur les juridictions d'exception, la campagne a commencé à prendre. Mais toujours pas de clan. Quelques personnes convaincues de la justesse du combat, un peu de savoir faire, vieux souvenir de l'époque gauchiste et surtout la grève de la faim d'Alain entamée contre notre avis à tous.

C'est le caractère dramatique de ce geste qui a permis aux deux présidents, Giacobbi et Bucchini, d'interpeller le ministère de la justice sur un point de démocratie élémentaire qui échappe à ce journaliste que ne scandalisent pas la présence en prison de milliers de persones détenues en préventive (c'est lui qui me l'a dit un jour très froidement au téléphone) : si la JIRS possède des preuves d'une quelconque implication dans l'assassinat de Thierry Castola qu'elle les produise. Sinon qu'elle le relâche. Elle l'a relâchée grâce à la pression citoyenne.

Pour ce qui concerne Guy Orsoni son père l'a enjoint de se rendre dès les premiers jours de sa cavale qui, à l'évidence, était une erreur. Le jeune homme, effrayé de constater que son père était détenu sans preuves, ne l'a pas écouté. Cela lui a d'abord coûté une condamnation sévère à Montpellier pour "blanchiment d'argent". Cette cavale est aujourd'hui l'argument essentiel de la JIRS pour ne pas lui accorder sa liberté. Il aurait du se rendre dès le premier jour. Il ne l'a pas fait. Ça ne fait pas de lui un coupable.

Concernant, le travail de la LDH, M. Bordenave oublie de préciser que la section corse a été rejointe par la Ligue nationale et que la Fédération internationale des droits de l'homme a décidé d'une enquête sur les méthodes des JIRS. C'est tout de même autre chose que l'initiative isolée de quelques hurluberlus, fort en gueule s'excitant tout seul sur une petite île de Méditerranée. Mais tout cela, M. Bordenave l'a omis. Quant à l'un des responsables local de la LDH André Paccou, je voudrais lui dire ici mon respect et mon estime (l'amitié va de soi) pour son sens de l'objectivité et son courage. Que n'a-t-on dit sur lui ? Certains sont même aller jusqu'à mordre la main qu'à un moment donné ils avaient accepté. Petits esprits… petites méthodes.

M. Bordenave, avec un art consommé de la litote, use du même artifice que Lucianus, le neveu de Gonzague, qui dans la tragédie de Shakespeare "Hamlet" vient avec du poison qu’il verse dans l’oreille de Gonzague et le tue ainsi. Il suggère que le "clan Orsoni" agit comme un clan albanais, comme une mafia…  le grand mot est lâché. Corse donc gangster donc mafieux. Le thème n'est jamais démodé et de plus est vendeur.

Quelques exemples des approximations de M. Bordenave . Il écrit :
" Selon un renseignement parvenu aux policiers, ces deux assassinats seraient le fait d'une équipe composée notamment de Guy Orsoni. Ce renseignement a été corroboré plus d'un an après, en avril 2010 par un ami de Guy. En garde à vue, Franck Tarpinian a raconté aux enquêteurs que trois jours avant le meurtre de Brahimi, Guy Orsoni l'a fait venir en Corse, "pour bouger" quelqu'un."

Or les déclarations de Franck Tarpinian n'ont rien à voir avec Brahimi mais avec une autre personne. Il ne s'est d'ailleurs rien passé et le terme de "bouger" signifiait selon Guy Orsoni le secouer. M. Bordenave n'a évidemment pas à croire la version donnée par Guy Orsoni mais il est de son devoir de ne pas se tromper d'affaire et d'être précis.

Évoquant le double assassinat de Baleone M. Bordenave écrit : "Guy Orsoni a été remis en liberté en octobre 2011, après que le témoignage sous X qui l'accusait, fut fragilisé par sa défense. Il reste cependant toujours mis en examen." Le témoignage sous X n'a pas été fragilisé. Il a été tout simplement annihilé par la personnalité même du témoin qui s'est avéré être un menteur patenté et un mythomane amenant le magistrat qui l'entendait un an après ses déclarations à l'écarter. M. Bordenave utilise des termes bien délicats lorsqu'il s'agit de défendre la partie policière. Je précise que ce témoignage sous X qui n'aurait pas tenu une seconde si le magistrat avait accordé une reconstitution systématiquement refusée, a été accordé dix-huit mois après les faits. C'est tout simplement hallucinant.

Enfin en guise de conclusion notre rapporteur écrit : "Tout en fustigeant "un dossier vide qui ne repose que sur des témoignages sous X", ils omettent de mentionner qu'en juin 2009 il avait échappé à la police qui l'a rattrapé en mars 2011 à Madrid." Cela n'a non seulement jamais été omis mais Guy Orsoni comme son père se sont largement expliqués dans la presse sur ce point.

M. Bordenave n'a donc pas écrit un article informatif mais il a commis un réquisitoire approximatif, superficiel. 

Après réflexion, je retire ce que j'ai pu écrire sur les accointances de M. Bordenave avec la JIRS. J'étais en colère, épuisé et un peu desespéré.

Cet article nous a fait mal. Nous ne saurions le nier. Tant pis.  

Nous fatiguons mais nous sommes de plus en plus décidés à montrer à l'opinion publique de quoi nous sommes capables au nom de deux principes essentiels à nos yeux : l'amitié et la liberté. Malheureux sont ceux qui n'en connaissent pas la richesse.

PS Cet article avait été publié hier. J'y avais inséré des réflexions personnelles sur le journaliste qui, après réflexion et remarques de journalistes bienveillants, m'ont en effet paru peu compatibles avec l'idée que je me fais de notre combat. J'ai eu tort de m'en prendre personnellement à Yves Bordenave en le soupçonnant d'accointances avec la JIRS. Il peut être en désaccord avec notre point-de-vue sans pour autant être un agent patenté de la justice d'exception. Ce qui m'a un peu plus désolé c'est l'avis de l'un de ces amis qui m'a affirmé ne rien trouver de dérogatoire au fonctionnement des JIRS. C'est dire si le poison sécuritaire imbibe nos esprits. Ce journaliste est un type formidable, scandalisé très sincèrement par le fonctionnement de la justice. Mais il ne trouve rien à redire sur les JIRS. C'est à se demander pourquoi Nicolas Sarkozy les a voulues puisqu'elles n'ajouteraient rien au fonctionnement antérieur de la police et de la justice. La vérité est que F. se trompe. Les JIRS fonctionnent de manière dérogatoire sur le modèle de la justice anti-terroriste. Cela a été voulu ainsi et c'est ainsi.

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