La privation de nourriture
provoque cette fatigue euphorique qui comporte un inconvénient majeur. Sauf
concentration, les idées se télescopent et deviennent confuses. On cherche les
mots, on trébuche sur les phrases, on flotte sur ses jambes. Bref soudain on se
dit qu'on vit les inconvénients de la vieillesse par anticipation.
Sans les repères des repas,
les journées sont longues et un rien monotones. J'essaie de lire mais au bout
de deux ou trois pages, la somnolence prend le dessus. Marcher devient
périlleux. Lever les pieds est un problème et on trébuche dans le moindre
obstacle. Du coup le regard se tend et la physionomie devient celle de ces
vieux qui semble fascinés par leurs propres pieds.
La grève de la faim est une
anticipation sur une forme de sénilité physique. On espère en sortir le plus
vite possible afin de vivre au mieux dans l'instant. À bientôt trois semaines,
ne pas manger devient très concrètement chiant bien que cette affirmation ne
soit pas à prendre au pied de la lettre car côté transit intestinal c'est aussi
la grève générale.
Je me force à prendre mes
deux douches quotidiennes, à me raser comme d'habitude, à changer de
sous-vêtements au quotidien bref à mener une vie normale dans une situation
anormale.
Je suis hanté par un
dialogue du Salaire de la peur. L'un
des personnages, un Allemand, se rase. Yves Montand lui demande pourquoi il se
rase alors que personne ne les voit. Il répond que son père, opposant aux
nazis, lui avait expliqué que chaque jour pouvait être le dernier et qu'il
tenait à être impeccable devant ses ennemis.
Je veux rester digne pour
moi-même. Mon corps se défait pas mon esprit. Donc même avec cette sensation de
s'enfoncer dans le grand âge, chaque matin je me lave, me brosse les dents et,
suprême coquetterie, je me parfume en variant les parfums pour me surprendre
moi-même. Ne jamais tomber dans l'habitude ou le conservatisme, telle est la
règle d'une vie ardente.
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