Les grèves de la faim
supposent un minimum de respect des libertés politiques et notamment des
libertés d’expression et de manifestation ou en tous les cas un régime qui
pourrait craindre des mesures de rétorsion de la part des démocraties. On conçoit
mal en effet l’utilisation de ce mode d’action sous le régime nazi, au
goulag ou sous une dictature qui n’aurait que faire du droit de parole et
de protestation. Certains commentateurs ont d’ailleurs souligné que
Gandhi, fin observateur politique, avait su utiliser la meilleure méthode
de pression face à un Empire britannique respectueux des libertés
politiques.
Pourtant, la grève de
la faim se retrouve sur tous les continents et dans tous les pays. Elle
fut employée au début du siècle par les détenus trotskistes des prisons
russes et même durant la répression stalinienne des
années 1930, avec des conséquences souvent funestes. La
plus grande grèvefut sans doute celle de 400 détenus du goulag, en1936, lancéepar
un
groupe de trotskistes et
au cours delaquelle 40 grévistes trouvèrent lamort. Par
la suite, la grève de la faim est devenue un outil, auquel ont eu fréquemment
recours les «dissidents » de l’URSS, comme Andréï Sakharov
ou Anatoli Koriaguine.
En Amérique du Sud, la grève de la faim
fut abondamment utilisée au Chili (les grèves du leader du syndicat des
mineurs, Juan Lechin Oquendo, en1949et 1951) et en Bolivie, où cette
forme de protestation fut employée par les femmes de mineurs pour appuyer
les revendications de leurs époux (Lavaud, 1999). Un rapide coup d’œil à travers
la presse nous montre également que la géographie de la grève de la faim est très
étendue: sur 268 grèves recensées à l’étranger dans le quotidien Le Monde, au
cours des quinze dernières années, on dénombre 68 pays concernés. Ce corpus mentionne
83 grèves en Afrique (dont 58 au Maghreb), 33 sur le continent américain
(principalement en Amérique centrale et en Amérique du Sud), 72 en Asie
(dont 34 au Moyen-Orient), 3 en Océanie, et 77 en Europe, espace ex-soviétique
et Turquie inclus. La couverture médiatique des grèves de la faim peut laisser croire
que la grève est rattachée à certaines populations et qu’elle s’exerce en
groupe. Sans nier que certains facteurs culturels, idéologiques ou
environnementaux puissent expliquer le recours de certaines populations à cette
pratique protestataire (on pense aux Irlandais, aux Kurdes, etc.), ce type d’analyse
ne doit pas occulter le fait que la grève de la faim, c’est aussi – et peut-être
d’abord– un individu isolé qui proteste.
Sur
255 grèves recensées en France de 1987 à 2005, 40 % sont menées par une seule
personne. Quand elle n’est pas exercée par un individu solitaire, la grève de
la faim implique souvent un nombre très restreint de personnes. Si l’on cumule
ainsi les grèves comprenant entre 1et 3 grévistes, c’est plus de la moitié du
corpus (52,1%) qui est concernée. Il est vrai qu’une partie assez importante
des grèves recensées (20 %) impliquent plus de 10 grévistes.
Ce
sont de manière presque exclusive des grèves menées par des personnes en
situation irrégulière qui ne peuvent que difficilement s’exposer en petit
nombre du fait de leur situation clandestine. Toutefois, cela ne remet pas en
cause la dimension majoritairement solitaire de ce type de protestation. On
peut par ailleurs raisonnablement supposer que les grèves impliquant un grand
nombre de personnes sont sur-représentées dans ce corpus car elles semblent
mobiliser plus facilement l’attention des médias. L’étude de la grève de la
faim comme forme de protestation nous conduit à mettre sur le même plan des grèves
et des revendications qui, en apparence, n’ont que peu de choses en commun.
Comment
comparer, par exemple, la grève des Irlandais dans la prison de Long Kesh en1981dont
l’enjeu était l’obtention du statut de«prisonnier politique» et qui entraîna
dix grévistes dans la mort, à celle de ce retraité lyonnais qui, en1998, entama
une grève de la faim qui dura quelques jours pour protester contre l’interdiction
du parc Chambovet aux chiens ? Malgré cette hétérogénéité, il est possible de
repérer une certaine similarité dans les contenus des revendications des grévistes
de la faim et d’établir un lien entre la grève de la faim comme forme de
protestation et le contenu des revendications.
(Tiré d'un document écrit par Damien Lecarpentier)
(À suivre 2 - Paroles de grévistes de la faim)
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