mardi 20 mars 2012

Histoire et contenu des grèves de la faim (1)


Les grèves de la faim supposent un minimum de respect des libertés politiques  et notamment des libertés d’expression et de manifestation ou en tous les cas un régime qui pourrait craindre des mesures de rétorsion de la part des démocraties. On conçoit mal en effet  l’utilisation de ce mode d’action sous le régime nazi, au goulag ou sous une  dictature qui n’aurait que faire du droit de parole et de protestation. Certains  commentateurs ont d’ailleurs souligné que Gandhi, fin observateur politique, avait  su utiliser la meilleure méthode de pression face à un Empire britannique  respectueux des libertés politiques. 


Pourtant, la grève de la faim se  retrouve sur tous les continents et dans tous les pays. Elle fut employée au début du  siècle par les détenus trotskistes des prisons russes et même durant la répression  stalinienne des années 1930, avec des conséquences souvent funestes. La plus grande grèvefut sans doute celle de 400 détenus du goulag, en1936, lancéepar un 
groupe de trotskistes et au cours delaquelle 40 grévistes trouvèrent lamort. Par la suite, la grève de la faim est devenue un outil, auquel ont eu fréquemment recours les «dissidents » de l’URSS, comme Andréï Sakharov ou Anatoli Koriaguine. 

En  Amérique du Sud, la grève de la faim fut abondamment utilisée au Chili (les grèves  du leader du syndicat des mineurs, Juan Lechin Oquendo, en1949et 1951) et en  Bolivie, où cette forme de protestation fut employée par les femmes de mineurs pour  appuyer les revendications de leurs époux (Lavaud, 1999). Un rapide coup d’œil à  travers la presse nous montre également que la géographie de la grève de la faim est très étendue: sur 268 grèves recensées à l’étranger dans le quotidien Le Monde, au cours des quinze dernières années, on dénombre 68 pays concernés. Ce corpus  mentionne 83 grèves en Afrique (dont 58 au Maghreb), 33 sur le continent  américain (principalement en Amérique centrale et en Amérique du Sud), 72 en  Asie (dont 34 au Moyen-Orient), 3 en Océanie, et 77 en Europe, espace  ex-soviétique et Turquie inclus. La couverture médiatique des grèves de la faim peut laisser croire que la grève est rattachée à certaines populations et qu’elle s’exerce en groupe. Sans nier que certains facteurs culturels, idéologiques ou environnementaux puissent expliquer le recours de certaines populations à cette pratique protestataire (on pense aux Irlandais, aux Kurdes, etc.), ce type d’analyse ne doit pas occulter le fait que la grève de la faim, c’est aussi – et peut-être d’abord– un individu isolé qui proteste.

Sur 255 grèves recensées en France de 1987 à 2005, 40 % sont menées par une seule personne. Quand elle n’est pas exercée par un individu solitaire, la grève de la faim implique souvent un nombre très restreint de personnes. Si l’on cumule ainsi les grèves comprenant entre 1et 3 grévistes, c’est plus de la moitié du corpus (52,1%) qui est concernée. Il est vrai qu’une partie assez importante des grèves recensées (20 %) impliquent plus de 10 grévistes.

Ce sont de manière presque exclusive des grèves menées par des personnes en situation irrégulière qui ne peuvent que difficilement s’exposer en petit nombre du fait de leur situation clandestine. Toutefois, cela ne remet pas en cause la dimension majoritairement solitaire de ce type de protestation. On peut par ailleurs raisonnablement supposer que les grèves impliquant un grand nombre de personnes sont sur-représentées dans ce corpus car elles semblent mobiliser plus facilement l’attention des médias. L’étude de la grève de la faim comme forme de protestation nous conduit à mettre sur le même plan des grèves et des revendications qui, en apparence, n’ont que peu de choses en commun.

Comment comparer, par exemple, la grève des Irlandais dans la prison de Long Kesh en1981dont l’enjeu était l’obtention du statut de«prisonnier politique» et qui entraîna dix grévistes dans la mort, à celle de ce retraité lyonnais qui, en1998, entama une grève de la faim qui dura quelques jours pour protester contre l’interdiction du parc Chambovet aux chiens ? Malgré cette hétérogénéité, il est possible de repérer une certaine similarité dans les contenus des revendications des grévistes de la faim et d’établir un lien entre la grève de la faim comme forme de protestation et le contenu des revendications.
(Tiré d'un document écrit par Damien Lecarpentier)
(À suivre 2 - Paroles de grévistes de la faim)

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