lundi 5 mars 2012

Ma lettre ouverte aux deux présidents de Corse

J'ai cessé de m'alimenter dimanche soir en solidarité avec Guy Orsoni. J'ai annoncé ma décision lors du meeting appelé lundi soir par les signataires d'une pétiton en faveur d'une justice sereine et équitable. Un vrai succès : plus de 500 personnes comptées. Voici le texte de ma lettre aux deux présidents de Corse, MM. Bucchini et Giacobbi.


Monsieur le Président de l'Assemblée de Corse
Monsieur le Président du Conseil exécutif de Corse,

j'ai pris la décision de rejoindre Alain Orsoni, Christian Leca et Pierre Jean Giudicelli qui ont cessé de s'alimenter afin de protester contre la justice d'exception et en solidarité avec Guy Orsoni lui-même en grève de la faim dans la prison de Grasse. J'ai soixante ans. Je suis le père de quatre enfants dont trois en bas âge. Je suis aussi le grand-père de trois petits-enfants. Vous comprendrez qu'une telle décision a été prise après mûres réflexions.

On peut tout à fait concevoir que l'évolution de la grande criminalité, aussi bien dans ses méthodes et son organisation que dans ses secteurs d'activité, rende indispensable une spécialisation des enquêteurs et des magistrats. 

Je note néanmoins que le pôle économique renforcé en 2000 par le procureur Legras afin de mieux lutter contre le grand banditisme n'a jamais été utilisé comme il l'aurait dû. Je remarque également que les enquêtes relatives à des faits graves sont systématiquement dépaysées privant la justice locale d'une expérience qui pourrait lui être précieuse. Je remarque enfin que la JIRS, non pas spécialisée mais dérogatoire au droit commun, voulue par le président Sarkozy dans le cadre des lois sécuritaires, met fin à l'impartialité de l'instruction et donne la prédominance au parquet qui, en France, dépend directement du pouvoir politique. Il me semble par ailleurs qu'on ne saurait régler la question de la criminalité grandissante sans s'attaquer aux racines sociales du problème à savoir la grande pauvreté, le chômage.

La violence criminelle doit évidemment être combattue en Corse comme partout ailleurs et j'ai souvent incité dans mes articles les victimes d'actes criminels à porter plainte. Toutefois, les JIRS en prétendant répondre à la délinquance d'une manière uniforme, finit par criminaliser des populations entières.
La Corse est une microsociété où beaucoup de genres se côtoient sans pour autant être complices. Or la JIRS a démontré une méconnaissance volontaire des liens qui unissent les Corses entre eux sans que ceux-ci créent pour autant un tissu mafieux. L’atmosphère répressive actuelle rappelle hélas celle qui prévalut sous la houlette du préfet Bonnet et les menées guerrières de la JIRS n’ont rien à envier à celles de la DNAT.

Nous sommes les acteurs de notre propre futur et ce sont nos luttes mais aussi nos propositions qui dessineront l'avenir de notre peuple. Et si je considère que la lutte contre le grand banditisme est, avant toute autre considération une responsabilité régalienne de l'État, je ne saurais pour autant accepter qu'au nom d'une efficacité qui reste à démontrer la fin justifie les moyens. Durant la guerre d'Algérie la détestation des attentats aveugles ne pouvait en aucun cas justifier la torture pratiquée sur les suspects. La mise au pas de la voyoucratie ne doit pas affaiblir la présomption d'innocence et les droits de la défense. L’utilisation systématique de rumeurs enfin ne doit pas devenir la règle d’or de policiers ou de magistrats en mal de résultats.

Le cas de Guy Orsoni est, à mes yeux, emblématique d'une instruction qui ne respecte pas l’égalité des armes entre l’accusation et la défense au détriment de la seconde (utilisation de témoin sous X fantaisiste, fixation obsessionnelle d'un magistrat instructeur et d'un procureur contre un homme voire un nom, pression sur témoins etc.). 

Le délitement du dossier judiciaire, l'hostilité évidente du magistrat instructeur envers le prévenu et son père m'ont convaincu que l'affaire Guy Orsoni était devenue un cas d’école qui met en exergue des méthodes qui me font horreur. Elles préfigurent indubitablement une société ultra sécuritaire et inégalitaire que je repousse de toutes mes forces. Je ne veux pas que mes enfants aient à choisir entre le fascisme d'une voyoucratie dominante et la tyrannie d'une justice qui, considérant tout citoyen comme un criminel en puissance, le surveille du berceau jusqu'au cercueil usant à l'envi de lettres de cachets dès lors qu'un individu échappe aux critères normatifs.

Notre grève de la faim n’est en rien un acte désespéré mais au contraire un geste citoyen résolu. Aujourd'hui, dans bien des domaines, l'indignation ne suffit plus. Il devient urgent de se révolter. Un juste droit ne se mendie pas, il se conquiert.

Nous nous sommes promis de n'arrêter notre mouvement qu'avec la promesse que Guy Orsoni bénéficiera d'un traitement équitable ce qui entraînerait sa libération. Malheureusement, notre geste ne prendra sa véritable dimension qu'à l'instant de notre mise en danger. Nous le savons et nous en prenons le risque. Jamais nous n'avons été aussi responsables qu'aujourd'hui.

Vous êtes, Monsieur le Président de l'Assemblée de Corse, Monsieur le Président du Conseil exécutif de Corse, les représentants élus de notre peuple. Je veux espérer que nous vous trouverons à nos côtés, non pour vous prononcer sur l'innocence ou la culpabilité de Guy Orsoni, ce qui est du ressort de la justice, mais pour défendre les principes qui sont le fondement même de l’état de droit sans lesquels les plus malheureux resteront toujours les perdants d’une société façonnée par et pour les puissants.

Veuillez croire, Messieurs, en mes salutations citoyennes.

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