Monsieur le Président de l'Assemblée de Corse
Monsieur le Président du Conseil exécutif de Corse,
j'ai pris la décision de rejoindre Alain Orsoni, Christian
Leca et Pierre Jean Giudicelli qui ont cessé de s'alimenter afin de protester
contre la justice d'exception et en solidarité avec Guy Orsoni lui-même en
grève de la faim dans la prison de Grasse. J'ai soixante ans. Je suis le père
de quatre enfants dont trois en bas âge. Je suis aussi le grand-père de trois
petits-enfants. Vous comprendrez qu'une telle décision a été prise après mûres
réflexions.
On peut tout à fait concevoir que l'évolution de la grande
criminalité, aussi bien dans ses méthodes et son organisation que dans ses
secteurs d'activité, rende indispensable une spécialisation des enquêteurs et
des magistrats.
Je note néanmoins que le pôle économique renforcé en 2000 par
le procureur Legras afin de mieux lutter contre le grand banditisme n'a jamais
été utilisé comme il l'aurait dû. Je remarque également que les enquêtes
relatives à des faits graves sont systématiquement dépaysées privant la justice
locale d'une expérience qui pourrait lui être précieuse. Je remarque enfin que
la JIRS, non pas spécialisée mais dérogatoire au droit commun, voulue par le
président Sarkozy dans le cadre des lois sécuritaires, met fin à l'impartialité
de l'instruction et donne la prédominance au parquet qui, en France, dépend
directement du pouvoir politique. Il me semble par ailleurs qu'on ne saurait
régler la question de la criminalité grandissante sans s'attaquer aux racines
sociales du problème à savoir la grande pauvreté, le chômage.
La violence criminelle doit évidemment être combattue en
Corse comme partout ailleurs et j'ai souvent incité dans mes articles les
victimes d'actes criminels à porter plainte. Toutefois, les JIRS en prétendant
répondre à la délinquance d'une manière uniforme, finit par criminaliser des
populations entières.
La Corse est une microsociété où beaucoup de genres se
côtoient sans pour autant être complices. Or la JIRS a démontré une
méconnaissance volontaire des liens qui unissent les Corses entre eux sans que
ceux-ci créent pour autant un tissu mafieux. L’atmosphère répressive actuelle
rappelle hélas celle qui prévalut sous la houlette du préfet Bonnet et les
menées guerrières de la JIRS n’ont rien à envier à celles de la DNAT.
Nous sommes les acteurs de notre propre futur et ce sont nos
luttes mais aussi nos propositions qui dessineront l'avenir de notre peuple. Et
si je considère que la lutte contre le grand banditisme est, avant toute autre
considération une responsabilité régalienne de l'État, je ne saurais pour
autant accepter qu'au nom d'une efficacité qui reste à démontrer la fin
justifie les moyens. Durant la guerre d'Algérie la détestation des attentats
aveugles ne pouvait en aucun cas justifier la torture pratiquée sur les suspects.
La mise au pas de la voyoucratie ne doit pas affaiblir la présomption
d'innocence et les droits de la défense. L’utilisation systématique de rumeurs enfin
ne doit pas devenir la règle d’or de policiers ou de magistrats en mal de
résultats.
Le cas de Guy Orsoni est, à mes yeux, emblématique d'une
instruction qui ne respecte pas l’égalité des armes entre l’accusation et la
défense au détriment de la seconde (utilisation de témoin sous X
fantaisiste, fixation obsessionnelle d'un magistrat instructeur et d'un
procureur contre un homme voire un nom, pression sur témoins etc.).
Le
délitement du dossier judiciaire, l'hostilité évidente du magistrat instructeur
envers le prévenu et son père m'ont convaincu que l'affaire Guy Orsoni était devenue
un cas d’école qui met en exergue des méthodes qui me font horreur. Elles
préfigurent indubitablement une société ultra sécuritaire et inégalitaire que
je repousse de toutes mes forces. Je ne veux pas que mes enfants aient à choisir
entre le fascisme d'une voyoucratie dominante et la tyrannie d'une justice qui,
considérant tout citoyen comme un criminel en puissance, le surveille du
berceau jusqu'au cercueil usant à l'envi de lettres de cachets dès lors qu'un
individu échappe aux critères normatifs.
Notre grève de la faim n’est en rien
un acte désespéré mais au contraire un geste citoyen résolu. Aujourd'hui, dans
bien des domaines, l'indignation ne suffit plus. Il devient urgent de se révolter.
Un juste droit ne se mendie pas, il se conquiert.
Nous nous sommes promis de n'arrêter notre mouvement qu'avec
la promesse que Guy Orsoni bénéficiera d'un traitement équitable ce qui
entraînerait sa libération. Malheureusement, notre geste ne prendra sa
véritable dimension qu'à l'instant de notre mise en danger. Nous le savons et
nous en prenons le risque. Jamais nous n'avons été aussi responsables qu'aujourd'hui.
Vous êtes, Monsieur le Président de l'Assemblée de Corse,
Monsieur le Président du Conseil exécutif de Corse, les représentants élus de
notre peuple. Je veux espérer que nous vous trouverons à nos côtés, non pour
vous prononcer sur l'innocence ou la culpabilité de Guy Orsoni, ce qui est du
ressort de la justice, mais pour défendre les principes qui sont le fondement
même de l’état de droit sans lesquels les plus malheureux resteront toujours
les perdants d’une société façonnée par et pour les puissants.
Veuillez croire, Messieurs, en mes salutations citoyennes.
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