samedi 17 mars 2012

Week end en famille


J'ai décidé de passer le week-end en famille. Hier soir donc, après la rencontre avec Michel Tubiana, avocat et Président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme et avec Souhayr BELHASSEN présidente de la F.I.D.H. j'ai retrouvé les miens, ma femme et mes trois derniers enfants. J'ai retrouvé les problèmes de l'aîné qui préfère les jeux en ligne à son travail scolaire, la difficile compréhension de ma femme devant mon acte militant etc. Mais aussi le bonheur de les retrouver, de retrouver tout simplement la vie normale.

J'aimerais tant qu'un journaliste genre Bordenave vienne nous voir vivre afin qu'il accepte l'idée que nous sommes des êtres normaux loin mais alors très loin du "clan mafieux", de la violence. Je reste marqué par cet échange avec un ami, un journaliste très proche de Bordenave qui m'écrit ceci :

" Mon cher Gabriel, Notre conversation, hier, m’a fait de la peine ; j’admire ton courage, mais je redoute ta folie et ce vertige et ce goût du combat perdu. Merci d’avoir eu la force d’envoyer un correctif sur Yves [Bordenave], c’est juste symbolique, mais c’est touchant, et ça te ressemble bien.
Je ne vais pas essayer de te convaincre, cher Gabriel, mais tu es mon ami et je sais que tu acceptes que je ne sois pas d’accord. Sur la forme du combat, d’abord. Les grèves de la faim ne servent à rien. Pourquoi Bobby Sands et ses amis sont-ils morts ? En quoi cela a-t-il fait avancer leur cause ? Mme Thatcher et ses électeurs en ont-ils perdu le sommeil ? Et qui se souvient aujourd’hui de l’émotion du moment ? La solution du conflit passait évidemment par d’autres voies.
Votre situation est pire, d’autant que tu mesures très précisément l’absurdité de la situation : il n’y a pas d’issue. Vous ne céderez pas, eux non plus. Quel sens y a-t-il à livrer une bataille quand la défaite est certaine ? À s’inscrire dans le martyrologue corse ?
Tu me parles de l’immense solitude des Orsoni. Je te crois volontiers, c’est le destin de tous les chefs de bande dès qu’ils ont un genou à terre : les affidés vont manger ailleurs, les amis se détournent, les trouillards s’apprêteraient à lui tirer dans le dos s’il n’avait pas décidé de se tuer tout seul avec sa grève de la faim.
Il n’y en a qu’un qui ne lui doit rien, qui n’a jamais profité de ses largesses, qui s’est battu contre tout ce qu’il représente, et qui vient mourir avec lui au moment du crépuscule : toi. C’est beau, peut-être, mais c’est nul. Tu t’es battu contre Somoza et Pinochet, tu meurs pour Orsoni : il n’y a pas quelque chose qui va pas ?

Quant à la Jirs, c’est un chiffon que tu agites pour cacher autre chose. La Jirs est une juridiction spécialisée, et pas une juridiction d’exception, contrairement à l’antiterrorisme – j’y tiens, et je peux le prouver. Que la justice en France soit dérogatoire, expéditive ou trop lente ; qu’elle abuse de la détention provisoire, que les politiques aient empilé loi scélérate sur loi scélérate au mépris des droits les plus élémentaires, nous en sommes d’accord tous les deux, et j’essaie dans mon petit coin de le rappeler en permanence. Mais on ne peut pas, sur le principe, dénier aux juges d’instruction d’instruire des crimes. Il existe des voies de droit, locales, nationales et européennes qu’on ne peut pas écarter d’un revers de main. Plutôt que de répéter qu’il n’y a rien dans le dossier, fais-le toi transmettre, épluche chaque pièce, si tu trouves des nullités (il y en a quasiment toujours) fait annuler des pans entiers de la procédure. Les avocats ne lisent pas tout, ils n’ont pas le temps. Voilà une tache utile – humble, longue, ingrate, aléatoire - mais utile.
Mon cher Gabriel, j’ai peur que le dégoût de la vie t’emporte, je sais trop ce que c’est. Tu t’enfermes dans une situation suicidaire, et tu n’as juste pas le droit. Tu as tes quatre enfants, et que vont penser les deux petits, que tu es un héros ? Pense à Marianne, et pense à Nadine, elle ne t’aurait pas laissé t’enfermer dans un truc pareil. Tu me dis que dans une société du spectacle, seule la souffrance et le sacrifice paient. C’est très faux : dans une société du spectacle, seul le spectacle compte et il va continuer sans toi, la souffrance des autres, tout le monde s’en fout, et l’orgueil seul ne suffit pas.
J’ai l’air de t’engueuler – je t’engueule – parce que je tiens à toi, et je ne suis pas le seul. Puisses-tu m’entendre, pour une fois. Je t’embrasse mon ami, fou que tu es."

Je précise que j'ai une vraie affection pour ce journaliste et que je ne lui en veux absolument pas. Je le crois de plus parfaitement honnête. Mais… Car il y a un mais. Il a reçu mois après mois les mails dont j'abreuve la presse entière. Et pourtant… Jamais il ne m'a contacté ni fait contacter par un des journalistes enquêteurs. Il y a chez tous les journalistes une sorte de cynisme qui les pousse à considérer que ma foi, la vie est ainsi et qu'il convient d'y participer mais toujours avec cette ambiguité de l'observateur.

Je me rends compte maintenant à quel point les rumeurs qu'Alain a laissé s'accumuler sur sa personne, dressent un mur entre la réalité qui devrait nous apporter au moins l'attention de la presse et le fantasme. Cet ami dresse un acte accusatoire contre Alain qui est aussi mon ami. Il ne l'a jamais rencontré. Il n'a jamais discuté avec lui afin que le "prévenu" puisse se défendre. Mais il a une opinion bétonnée par des siècles de préjugés, des années de confidences policières jamais étayées. C'est dramatique. Mais peut-être l'accusateur d'Alain pourrait se demander les raisons qui m'ont poussé à aller vers ce dernier. Serais-je un bon juge en matière humaine quand il s'agit de lui et soudain privé de mes talents d'observateur lorsqu'il s'agit d'Alain. Je crois plus simplement que j'ai la curiosité d'aller voir derrière les apparences qui se trouve réellement. Et je le dis en toute conscience, Alain est tout simplement un type bien. Avec les défauts de ses qualités. Mais absolument, totalement différent du personnage que lui ont tricoté ses ennemis et quelques policiers.

Michel Tubiana avec une rudesse salutaire nous a fait valoir ce qui jouait contre nous et dont nous sommes parfaitement conscients et que résume la lettre de mon ami. De surcroît, nous a-t-il dit les élections présidentielles induisent une absence d'interlocuteurs politiques. Tout cela est vrai mais il importait de démarrer notre mouvement afin d'éviter les Assises. Mon ami me conseille de me plonger dans le dossier : plusieurs milliers de pages, voire plus, 17 cotes, des tonnes de papiers. Aucun journaliste ne l'a d'ailleurs fait. Et je pense que les avocats font très bien leur travail.

Mais surtout, notre mouvement n'est pas induit par le dossier lui-même mais par le vide du dossier. Je n'en veux pour preuve que l'incapacité de l'instruction à produire le moindre indice à charge. Et c'est justement cela qui a causé mon indignation et ma révolte. On garde en prison une personne contre laquelle il n'y a aucune charge. C'est donc judiciairement parlant un innocent qui est emprisonné. Et je n'arrive pas à m'y habituer. Je ne veux pas accepter l'inacceptable. Qu'on me pardonne mais 95 % des policiers et des magistrats ont accepté le régime pétainiste et la collaboration. Une partie d'entre eux ont participé aux déportations, aux condamnations de Juifs, de Résistants. On me dit que ce n'est pas la même période ce qui est exact. Mais c'est le même système, ce sont les mêmes êtres avec leur lâcheté, leur art de la compromission. Aujourd'hui c'est nous qui posons le problème d'une justice équitable sur la table : pas les magistrats et les policiers de la JIRS qui tordent le nez au droit pour aboutir à ce qu'il croit être leur justice et non la justice.

Il se trouve que j'ai accompli deux reportages en Sicile et que j'y ai rencontré des policiers et des magistrats qui combattaient la Mafia. Ils étaient des héros. Mais ils étaient une infime minorité. La majorité se débrouillait pour échappe à ce devoir. Nos magistrats marseillais sont vraisemblablement animés d'une pareille volonté de combattre le grand banditisme. Et je le redis publiquement : spontanément je me sens plus en empathie avec ceux qui combattent le crime qu'avec ceux qui le commettent. Le grand banditisme et plus encore la mafia représentent à mes yeux une forme de fascisme.

Contrairement à Alain qui est animé d'une véritable colère causée par le sort que son fils et lui subissent, je n'ai aucun ressentiment vis-à-vis de ces personnes. Je les trouve simplement déloyales. Je pense qu'ils appartiennent à cette catégorie qui, durant la guerre d'Algérie, aurait usé de tous les artifices pour permettre la torture au nom de l'efficacité. Je n'en suis pas. Un point c'est tout. Je suis surtout dans les périodes de crise pour le respect des principes qui fondent les démocraties. C'est à ce titre que je crois que la violence révolutionnaire aveugle est un crime comme les exactions des militaires ou des policiers en période de dictature. Je ne pense pas que le statut d'opprimé accorde le droit de sombrer dans la terreur.

Nous avons répondu à Michel Tubiana que, même si la situation s'est avérée beaucoup plus difficile que prévue, nous continuons. Alain a expliqué qu'il ne lâcherait pas son fils. Pierre Jean et moi avons enchaîné sur notre incapacité morale à lâcher Alain et son fils. Ma conception de l'amitié me l'interdit tout simplement au même titre que mon désir de vie m'interdit de ne plus respirer.

Nous restons persuadés que notre mise en danger pourra faire basculer l'opinion publique et donc obliger les politiques (ô combien discrets) à se signaler. Sinon nous nous serons trompés sur tout sauf sur l'essentiel. Quand bien même nous perdrions notre combat (et ce sera dramatique) l'honneur sera de notre côté.

Grosse fatigue causée par l'engueulade passée à mon fils pour son addiction aux jeux en ligne. Je vais aller dormir avant la réunion de la LDH à Ajaccio.

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