La fatigue m'a réveillé
plusieurs fois dans la nuit. Toujours cette sensation d'être arrivé à la fin du
voyage. Je me retrouve dans le lit sans aucune force et pourtant sans crainte
de ce que l'avenir nous prépare.
L'inhumanité du juge
Choquet (comment peut-on prétendre faire régner la concorde et adopter ainsi
des postures de tortionnaire ?) nous pousse à envisager le pire. C'est à
quoi je me prépare quand, dans l'obscurité, je n'ai plus les pensées polluées
par l'extérieur. J'appartiens à un groupe spiritualiste dont la présence m'aide
infiniment. La méditation me permet de relativiser cette terrible marche vers
l'imprévisible.
Je n'avais expérimenté ces
lassitudes immenses qui laissent l'esprit libre de vagabonder. Le corps perd de
sa densité, de sa pesanteur. Et pourtant malgré la tristesse que j'éprouve à
l'idée qu'à mon âge tout peut s'arrêter soudainement, j'éprouve toujours cette
joie lumineuse à agir en fonction de ma conscience et cette fierté à avoir
réussi à faire passer mes principes et mon amitié par-delà les petits appels de
l'instinct de conservation.
Et toutes les nuits me
revient ce questionnement : comment les malheureux concentrationnaires
faisaient-ils pour continuer à vivre malgré l'épuisement, le travail forcé, le
désespoir et les coups ? Car tous ne mourraient pas. J'ai eu la chance de
connaître dans ma jeunesse David Rousset l'inoubliable auteur des Jours de
notre mort et de L'univers concentrationnaire. J'étais alors un
jeune militant des Jeunesses Communistes Révolutionnaires. Lui avait été
trotskyste. Je me souviens d'une longue discussion où cet homme qui devait
avoir dépassé la cinquantaine m'expliquait à moi, adolescent turbulent, les
structures mentales qui avaient présidé à l'organisation de ce monde dantesque.
Il avait travaillé dans le camp de Dora où se fabriquaient les fusées V2.
Épuisé, il cherchait à chaque seconde le moyen de dormir pour ne pas mourir.
Nous sommes épuisés. Je
suis aujourd'hui chez moi pour fêter le neuvième anniversaire de mon fils
Aloys. Je n'ai pas de cadeau et je ne vais pas manger. Drôle d'anniversaire. En
fait il est né le 26 mars c'est-à-dire lundi. Mais lundi je serai retourné à
Veru pour une semaine déterminante.
Mon frère jumeau,
Dominique, s'est suicidé à l'âge de 14 ans le 26 mars 1966. Je l'ai retrouvé le
soir dans sa chambre et je l'ai dépendu avec mon père. Aloys a vu le jour à
Ajaccio il y a neuf ans. Mon père et ma mère ont ressenti alors un mélange de
douleur immense et de joie. Maman, sans le vouloir, appréhendait le printemps.
Jamais le souvenir de cette soirée ne nous a quittés. Dominique… Aloys… Voilà
signifiée la terrible parenthèse corse : le tombeau et le berceau.
Dominique repose à côté de Nadine et de mes grands-parents dans le petit
cimetière de Chera. Non loin de là se trouve la dernière demeure d'Antoine et
de Julie, mes arrières grands-parents, les héros de La Terre des Seigneurs.
Telle est la Corse, une
terre pétrie de drames, de douleurs mais aussi de ces petits bonheurs qui
forment la vie. Nous en vivons un actuellement. Et en définitive, je plains le
juge Choquet, le procureur Dallest, tous ces journalistes qui se seront tus par
confort moral, par habitude, par arrogance aussi. La véritable histoire des
peuples s'écrit avec les tripes et avec le cœur. Pas à coup de petits papiers
sournois ou mesquins ! Les Justes sauvèrent des Juifs quand il était
minuit dans le siècle parce qu'ils jetèrent aux orties les lois, les décisions
judiciaires et n'écoutèrent que la petite voix qui indique la bonne voie.
Dans le livre 3 de
l'Apocalypse, Saint-Jean écrit : Je connais tes œuvres : tu n'es ni
froid ni chaud : plût à Dieu que tu fusses froid ou chaud !
Mais parce que tu es
tiède, et ni froid ni chaud, je te vomirai de ma bouche.
Tu dis : Je suis
riche et opulent, et je n'ai besoin de rien : et tu ne sais pas que tu es
malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu."
"Seuls les
violents s'emparent du royaume de Dieu" déclare Matthieu.
Cela signifie tout
simplement que la radicalité de sa propre conscience est parfois nécessaire
pour ouvrir des portes en l'occurrence celle de la Justice.
En ce beau Samedi
ensoleille, ma détermination reste entière : nous ne devons rien lâcher
tout simplement parce que nous avons raison. Hier, j'ai envoyé aux instances
internationales qui défendent les droits de l'homme un résumé de notre affaire.
J'ai reçu deux réponses de responsables qui ont promis d'interpeller la France.
Les journalistes
continentaux que j'ai abreuvés de courriers électroniques, de leur côté
frémissent. Espérons seulement que ce gros diesel qu'est l'information bougera
avant qu'il ne soit trop tard. Je rappelle que nous ne demandons rien d'autre
qu'un traitement objectif de notre situation : pas d'empathie, pas
d'antipathie. Mais qu'au moins ces journalistes qui n'hésitent pas à descendre
à Toulouse dans l'heure qui suit la lecture d'une dépêche viennent sur place
pour enquêter.
Est-ce la mer à boire que
d'exiger des professionnels qu'isl fassent correctement leur travail ?
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