QUESTION ORALE
POSÉE par Madame Nadine Nivaggioni
Au nom du
Groupe « Femu a Corsica »
OBJET
: Juridictions dʼexception.
Monsieur le
Président de l’Exécutif,
Monsieur le
Président de l’Assemblée de Corse,
Contrairement
à l’idée que l’on pourrait se faire de la démocratie, il est des pays qui confèrent
une partie conséquente de leur pouvoir judiciaire à des juridictions d’exception.
Au sortir de la deuxième guerre mondiale, elles condamneront à la peine de mort
les collaborateurs vichystes ou, plus près de nous, des militants du FLN
algérien ou des membres de l’OAS. À partir des années soixante-dix, elles
s'occuperont des « terroristes » qui portent atteinte à la Sureté de l’Etat et
emprisonneront ainsi des centaines de corses.
En effet, au
pays des droits de l'homme, la répression s’abattra très généreusement sur les
nationalistes. La Cour spéciale du moment ne jugera pas en droit mais en raison
d’Etat, pour circonscrire les ferments de la contestation. Un des premiers
gestes symboliques forts de François Mitterrand, au lendemain du 10 mai 1981,
fut d’ailleurs de supprimer les juridictions d’exception. La juridiction
antiterroriste succèdera à ce haut tribunal.
Ses errements
la conduiront à être dénoncée par de nombreuses organisations de défense des
droits de l’homme, parmi lesquelles la Ligue des Droits de l’Homme et la
Fédération internationale des Droits de l’Homme.
La dernière
née, la JIRS, spécialisée dans la lutte contre la criminalité organisée et la
délinquance financière, rejoint, par ses pratiques et son fonctionnement, les
juridictions d’exception au service de la raison d’Etat.
Cette
juridiction n'a rien à envier à ces aînées; elle suscite des vagues de plus en
plus grandes de protestation. Si je prends la précaution de ne pas développer
ni qualifier ces pratiques, je peux témoigner de ce qu'elle peut déclencher :
des actes de désespoir.
Cette fois-ci,
c’est un élu de la Corse, des citoyens, un journaliste qui iront au bout du
bout. La société corse s’enkyste dans une spirale mortifère. La justice
est-elle encore la justice? Pour bon nombre de citoyens, l’Etat est absent et ne
laisse aux hommes que des réactions ultimes, gravissimes, des hommes qui font le
choix de mettre leur vie en péril pour que justice soit faite.
Les avocats
épuisent tous les recours juridiques pour obtenir une défense loyale et une
instruction équitable. Leur impuissance ne peut qu'encourager malheureusement
des décisions extrêmes, qui ont pour but de dénoncer publiquement l’insupportable.
Ce bras de
fer, Messieurs les Présidents, entre une justice de l’arbitraire et des
familles broyées par une machine infernale qui nous font douter des principes
et des valeurs universelles humanistes, ne peut nous satisfaire. Nous, élus de
ce pays, cherchons pourtant un chemin d'espoir pour toute une jeunesse désemparée
dans une société à la dérive.
Des centaines
d’ouvertures d’informations, de perquisitions, de mises en examen, des dizaines
d’incarcérations provisoires, pour en arriver à des taux d'élucidation
ridicules. Pas l’ombre d’une piste de résolution d’enquête. Face aux statistiques
falsifiées de la Préfecture, parfait mensonge de prétendue santé et efficacité
de l'institution, qui pourra bien contredire mon témoignage ?
Ma parole ce
matin ne pourra au grand jamais être assimilée à un appel à la répression. Elle
est un appel solennel et digne, un de plus, à une justice équitable pour tous.
Tout simplement.
Aussi,
Messieurs les Présidents de l’Assemblée et de l’Exécutif, les élus du groupe
FEMU A CORSICA, vous demandent de prendre publiquement position, ici, sur les
méthodes et les agissements de la JIRS et plus encore que s’interroger sur les
raisons qui poussent 4 hommes à se laisser mourir dans l’indifférence, de vous
faire entendre au plus niveau haut de l’Etat et du pouvoir judiciaire pour
éviter le pire.
Je vous
remercie.
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